Le luxe n’est pas du superflu, encore moins une inclinaison pour la fantaisie factice. Le luxe est un indicateur sérieux de la bonne santé d’une époque et d’une civilisation.
Marcel Proust disait qu’il n’y a pas besoin d’être riche pour acquérir un luxe, et qu’il suffit d’être prodigue. Le luxe est un état d’esprit, une manière d’être et de vivre, un savoir-vivre en somme qui implique une attitude face à ce qui nous spécifie, nous distingue, nous donne une certaine forme d’identité. Le luxe ce n’est pas que l’apparat, la dépense, la volonté de paraître coûte que coûte, le luxe peut être économe mais décliné avec finesse et subtilité. Le raffinement en somme est un signe de goût élevé, de désir d’être en règle avec soi de l’intérieur comme de l’extérieur. L’histoire du monde nous apprend à travers de nombreux exemples que le luxe a de tout temps été au centre des grandes civilisations. La reine Cléopâtre était obsédée par les parfums capiteux. Les Grecs avaient la passion des vins rares. Le palais de Nabuchodonosor s’étendait sur 513 kilomètres carrés avec, sur son toit, les fameux jardins luxuriants de Babylone. Sans luxe, il n’y aurait ni monuments, ni œuvres d’art, ni musées, rappelle l’historien Jean Castarède dans le Grand Livre du Luxe (Eyrolles).
Nicolas Chemla, anthropologue et auteur de Luxifer, pourquoi le luxe nous possède (Séguier)
“ Le luxe est une démesure qui fait dire qu’il n’est pas seulement beau, mais sublime. Il fait basculer l’homme dans le registre des passions. Même le luxe minimaliste apporte une démesure de l’attention aux détails. En ce sens, il est diabolique. Car les trois moteurs de Lucifer sont aussi les trois piliers du luxe: passion, liberté et création.”
Gilles Lipovetsky, philosophe et auteur de Le Luxe éternel. De l’âge du sacré au temps des marques (Gallimard)
“ Longtemps, il n’y a eu qu’un seul luxe, celui de l’ostentation et du prestige, avec des châteaux et parures qui servaient à marquer son rang. Ce luxe statutaire, inaccessible pour presque tous, existera toujours pour ceux qui veulent afficher leur réussite. C’est le bling bling. Mais depuis la fin des années 1980, le luxe est entré dans l’âge hypermoderne, comme le reste de la société. Il s’est diversifié, notamment avec le «mass-tige», un prestige de masse qui permet au grand public de s’offrir des productions des créateurs du luxe: collection Karl Lagerfeld pour H&M, par exemple, ou accessoires et parfums des grandes maisons.”
Frédéric Monneyron, sociologue, auteur de L’Imaginaire du luxe (Imago) et La Frivolité essentielle (Puf)
“ Le luxe est un reflet des évolutions de la société, de ses désirs et ses inquiétudes. Aujourd’hui, il se déploie dans le cocon et le confort, qui répondent à la tendance de repli sur soi. Les lignes des voitures ont ainsi évolué, telle Ferrari, longtemps destinée à fendre l’air, mais qui s’est arrondie pour devenir bulle protectrice.”
Annick Le Guérer, historienne du luxe et des parfums, auteure de Le Parfum, des origines à nos jours (Odile Jacob)
“ Dès les origines, l’humanité témoigne de son goût pour le luxe en fabriquant des objets qui répondent à son aspiration de s’entourer de choses qui ravissent l’esprit et requièrent des savoirs artistiques. Mais le luxe est aussi accusé, dès l’Antiquité, de corrompre. Au Ier siècle avant Jésus-Christ, dans la Rome antique, on fait même interdire les parfums qui nécessitent des dépenses somptuaires en faisant venir du bout du monde des ingrédients rares. ”
Catherine Bronnimann, psychothérapeute, auteure de La Robe de psyché, essai de lien entre psychanalyse et vêtement (L’Harmattan)
“ Le luxe tel qu’on le connaît est d’abord un désir d’appartenance à une classe. Les marques haut de gamme l’ont compris en rendant certains produits tels que le maquillage accessibles, pour permettre de s’approprier quelques signes de cette classe. Pourtant le luxe reste un pouvoir. Il y a quelques années, Bernard Arnault disait d’ailleurs que le luxe est du domaine de la réussite. Mais face à ce luxe dominateur se développe un nouveau luxe qui n’est pas lié au prix, mais à la rareté: prendre son temps, se nourrir mieux, s’occuper de soi. Ce sont des petits luxes de bien-être que la plupart peuvent s’offrir: un thé exceptionnel, des produits bio un peu plus chers, une douce étoffe en cachemire, ou n’importe quelle frivolité seulement destinée à se faire plaisir…”