Confinement à cause du Coronavirus.
Nous reprenons l’intégralité d’un texte de Fouad Laroui, l’écrivain marocain qui vit à Amsterdam, écrit en toute beauté autour de cette pandémie du Covid-19, dont on devrait profiter de certaines conséquences, entre autres le confinement afin de, je cite : « refaire connaissance avec soi-même, pour retrouver son estime de soi », comme il dit. C’est ce qu’on appelle un morceau de bravoure: le fond, la forme, le style, tout y est. L’avons-nous assez lu au lycée, ce fragment des Pensées de Pascal! Mais l’avons-nous vraiment médité?
“L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau suffit pour le tuer. Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt.”
Et Pascal d’enfoncer le clou:
“L’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien.”
Cette vapeur, cette goutte d’eau, elle s’appelle aujourd’hui Covid-19. L’avantage que nous avons sur lui, sur la nature, sur l’univers entier, c’est que nous sommes doués de conscience, de pensée. Encore faut-il s’en servir. Profitons de ce confinement inattendu pour réfléchir, pour méditer…
Hier, une étudiante m’a envoyé un message émouvant:
– Monsieur, confinée dans ma turne, loin de mes parents, n’ayant d’autre compagnie que moi-même, je me rends compte que je ne me supporte pas.
Que lui dire? Je lui ai recommandé deux lectures.
D’abord The man of the crowd, cette nouvelle poignante d’Edgar Allan Poe dans laquelle ce dernier met en scène un homme qui ne peut vivre que s’il y a autour de lui des gens, beaucoup de gens. Fasciné par ce vieillard à l’air étrange, le narrateur se met à le suivre à travers ses déambulations. L’homme est mal à l’aise dès que la foule devient clairsemée. Il cherche désespérément les attroupements. Après l’avoir suivi toute la nuit dans différents quartiers de Londres, le narrateur en arrive à la conclusion qu’il a rencontré un “homme des foules“ qui a peur d’être seul.
C’est peut-être en lisant cette nouvelle de Poe, à l’adolescence, que j’ai décidé de ne jamais devenir un “homme des foules“.
Combien d’entre nous sont des “hommes des foules“, parce qu’il ne se supportent pas, parce qu’ils ne s’aiment pas?
L’autre lecture que j’ai recommandée à mon étudiante, c’est Montaigne:
“La solitude que j’aime consiste essentiellement à ramener vers moi mes sentiments et mes pensées, à restreindre et resserrer (…) mes désirs et mes préoccupations, refusant tout souci venant de l’extérieur, et fuyant à tout prix (…) non pas tant la foule des hommes que celle des affaires.” Il faut donc profiter du confinement pour refaire connaissance avec soi-même, pour retrouver son estime de soi –dont on sait qu’elle est fondamentale pour notre équilibre mental. Mais comment?
La Belgique nous donne l’exemple: si tous les commerces sont fermés, deux exceptions sont faites: les magasins d’alimentation et les… librairies. Les nourritures spirituelles sont aussi essentielles que les nourritures terrestres, a décrété ce lundi le Premier ministre, Mme Sophie Wilmès.
Alors il faut lire, feuilleter des livres d’art, écouter de la (vraie) musique –pas le boum-boum-boum de l’immonde ould lfchouch qui déshonorait ces colonnes la semaine dernière. Il faut peindre, gratter sa guitare, écrire…
Vous savez ce que Shakespeare a fait lorsqu’il fut confiné chez lui à cause de la peste? La mort menaçait –alors il a écrit King Lear, immortel chef d’œuvre.
Au travail!
signé: Fouad Laroui