“ Je suis esclave de mes émotions !”
Rockeuse dans l’âme, musicienne dans la sang, comédienne au jeu brut tant la sincérité est une seconde peau pour elle, Khansa Batma rafle le Prix de la meilleure interprétation féminine à la Mostra de Venise pour « Zanka Contact », premier long métrage d’ Ismael El Iraki. Consécration pour un rôle certes mais surtout pour une carrière courageuse où il a fallu endurance et sacrifices. Rencontre avec une artiste viscérale.
Vous attendiez-vous à gagner ce prix à la Mostra et quelle a été votre réaction en apprenant la nouvelle ?
Je ne m’y attendais pas du tout, le plus important pour moi et depuis que j’ai accepté d’incarner Raja était d’être à la hauteur, de ne pas être l’autre intruse qui vient prendre la place d’une vraie comédienne. Je n’aime pas être de trop, donc pour moi tout était centré sur le principe de donner le meilleur de moi pour gagner une place dans le domaine du cinéma. Et c’est peut-être pour ces raisons que quand la nouvelle est tombée, j’étais plutôt dans l’apaisement que l’excitation..
Aviez-vous senti la force du personnage à la lecture du scénario ? Aviez-vous dit oui tout de suite ?
J’ai surtout senti la complexité de ce dernier, la difficulté d’accepter son background émotionnellement. Je savais à la lecture, que ça n’allait pas être une partie de plaisir d’interpréter Raja jusqu’au « JE », jusqu’à être « ELLE » l’espace d’un mois de tournage. C’est pour cette raison, que j’étais partagée entre une histoire que je trouvais belle à la lecture en ayant de la distance et le fait d’accepter d’interpréter l’un de ses personnages torturé.
Raja est un personnage fort. Comment l’avez-vous préparé ?
J’ai d’abord essayé de la cerner, pour cela il a fallu que je lui crée une vie au-delà des lignes du scénario, lui imaginer une enfance et une adolescence et un entourage qui mèneront au moment clé où tout avait basculé.
Les moments clés dans sa vie sont donnés dans le scénario par Ismael El Iraki, à moi de leur donner des conséquences psychologiques puis être à l’écoute de ces dernières,
les déchiffrer, les comprendre. L’empathie était nécessaire pour pouvoir se mettre à la place du personnage, et vivre son vécu à travers mes propres émissions. Il a fallu aussi puiser dans mon vécu pour certaines scènes, comme la peur de chanter ou l’hésitation par exemple, ce sont des moments par lesquels tout chanteur passe, et certains continuent de ressentir ce moment de faiblesse causé par le doute avant de monter sur scène, Raja aussi l’a, différemment et pour d’autres raisons, mais elle l’avait, et donc je n’avais qu’a me servir en moi pour la rendre crédible.
C’est une battante, une chanteuse, une militante. Est-ce qu’il y a beaucoup de Khansa Batma en Raja ?
Elle est battante, ce qui la rend militante tous les jours. Chanteuse, elle le deviendra grâce à sa rencontre avec Lahsen.
Je la trouve plus courageuse que moi. Sincèrement, je n’aurais pas survécu à un viol par dix monstres dans un jardin public, un soir où sa famille l’avait abandonnée. Un traumatisme qui aura comme conséquence des années de négation de son corps en se prostituant, histoire de contrôler le « quand ? Avec qui? Et Comment ». Une sorte de double peine qu’elle s’infligera, un mélange de sadisme et de masochisme conscient parce qu’elle vit dans une société où la victime du viol est coupable. D’ailleurs, la majorité des témoignages de viol et même de pédophilie l’attestent, les coupables font en sorte de changer de rôle avec leurs victimes en commençant par les rendre coupables; « Coupables d’être au mauvais moment au mauvais endroit », donc Raja n’aura plus froid aux yeux et n’aura plus peur du danger. « Coupable d’être provoquante » donc Raja provoquera. « Coupable d’être femme » donc Raja assumera sa féminité et va au-delà, elle fera « payer » les hommes pour en avoir un bout. D’ailleurs, elle a vécu sans amour jusqu’à sa rencontre avec son alter ego version masculine par peur de perdre le contrôle, Lahsen, une autre victime coupable et dans l’autodestruction qui se laisse mourir, et c’est là où elle arrivera non sans peine à baisser sa garde parce qu’à la différence de Lahsen, Raja avait la rage de vivre.
Comment s’est passé le tournage ?
Difficile, émotif, humain ! Pour les raisons citées plus haut, mais aussi pour des raisons techniques. Tout ce tourbillon d’émotions devait être traduit en une prise, voire deux parce qu’on tournait en 35mm et que nous n’avions que 15h de bande.
Frustrant par moment, parce que Raja prenait le dessus et me plongeait dans une tristesse sans fin. En principe, les comédiens préfèrent s’éloigner de leur zone de confort, leur famille, de chez eux, pour faciliter l’immersion dans l’histoire etc… moi au bout de trois jours, j’ai demandé à la production de changer mon planning de pickup, parce qu’il fallait absolument que je retourne chez ma maman, dans ma chambre après la fin de chaque jour de tournage, histoire de m’éloigner de Raja pendant quelques heures. Dans tout ce tourbillon d’émotions difficile à gérer, il y a eu la bienveillance de l’équipe qui venait apaiser et calmer tout ça.
Quel genre de réalisateur est Ismael El Iraki ?
Je n’ai pas encore eu la chance d’être sous la direction d’assez de réalisateurs pour être en mesure de parler de genre. Mais ce que je sais, c’est qu’Ismael El Iraki était habité par son film, par son scénario, par ses personnages tous sortis de son imaginaire, étant aussi le scénariste. Et qu’à travers son film, il a essayé d’exorciser ses propres démons tout en les confrontant à toute la beauté qui se trouve dans sa vie, les musiques qu’il aime et le triomphe de l’amour. Toutes ces choses se ressentaient durant la préparation et le tournage. Je ne saurais leur donner des adjectifs pour les qualifier, mais elles étaient palpables dans ses faits et gestes.
Comment avez-vous travaillé l’alchimie avec Ahmad Hammoud ? (Est-ce qu’il y a eu des répétitions, un travail en amont ou tout s’est fait sur le set?)
Il y a eu un travail individuel avec Ismael où on a énormément parlé du personnage, confronté nos visions et débattu de nos divergences. Par la suite, on est passé aux séances de travail de groupe, où avec Ahmed Hammoud on a travaillé certaines scènes, cela m’a permis de donner une voix et un visage à Lahsen et de le voir évoluer dans l’espace. Petit à petit après chaque séance de travail, l’alchimie se construit.
On s’attendait à ce que Zanka Contact soit une chanson composée et écrite par vous-mêmes. Comment avez-vous donné de l’âme à ce morceau ?
Je l’ai juste intégré dans l’histoire du personnage en prenant de la distance avec mon métier de chanteuse. C’est bel et bien Raja qui chante ses maux et pas du tout Khansa Batma.
Et certes, ces paroles dans l’histoire sont écrites par Raja et chantées sur un air fredonné par elle, mais Raja est la création d’Ismael et comme je disais, Zanka Contact est un film qui sort de ses entrailles. En plus il est tellement amoureux de la musique, qu’avoir sa patte dans la chanson me semblait juste. Aussi juste que si je l’avais fait moi-même en étant musicienne interprétant des scènes où les paroles d’une chanson se construisent.
Vous êtes une véritable poétesse du Rock, comment donnez-vous naissance à une chanson?
Par surprise ! (Rires) Je suis esclave de mes émotions, toutes mes chansons enregistrées ou jouées sur scène, ont été le fruit de sentiments qui se traduisaient en mots et mélodies.
Comme vous dîtes ce sont des naissances, différents éléments entrent en jeu, après quoi, ou tout nait d’un coup ce qui est chose rare, ou c’est juste un fil auquel on s’accroche et qui nous mène d’un bout à l’autre, d’un mot à l’autre, d’une mélodie à une autre.
Ce prix qui couronne votre travail, est-ce le début d’une grande carrière au cinéma pour vous ?
Je n’en sait rien..
Enfin je l’espère..
C’est vrai qu’après le tournage de Zanka Contact j’ai joué dans le prochain film de Driss Roukh, mais personne ne sait qu’elle âme torturée j’interprèterai dans un mois ou plus ! (Rires)
Vous avez réussi à marquer le nom Batma à votre manière. A quel point votre héritage a fait de vous ce que vous êtes aujourd’hui ?
C’est trop pour moi de dire que j’ai marqué le nom Batma. Les détenteurs de ce nom l’ont bel et bien sculpté et la sculpture est finie et est robuste et elle est parfaite et n’a besoin de personne pour la revoir.
Disons que je suis juste une énième marocaine qui évolue dans le domaine artistique et qui a eu la chance d’évoluer dans un entourage musical, comme d’autres ont eu des parents mélomanes ou cinéphiles etc…
Ce qui peut différer, mais qui peut être le vécu de certains enfants d’artistes, est qu’à mon niveau j’ai vu la grandeur du talent évoluer en amont et les pieds bien enracinés sur terre. Et çà, ça calme de suite.
Avez-vous toujours voulu être dans la musique et le cinéma ? A quel moment était-ce une évidence pour vous?
Des envies cachées, devenues évidences avec la prise de conscience que des inconnus aiment ma musique, l’écoutent, la connaissent par cœur et en demandent plus. Et là, avec ce film et ce prix, la prise de conscience que des professionnels du cinéma, d’abord avec Ismael El Iraki qui m’a fait confiance pour porter son héroïne comme il lui plaît d’appeler Raja, et le jury d’un des plus grands festivals de cinéma, en aimant mon interprétation au point de me décerner le prix d’interprétation.
Ce sont des moments clés pour moi, où le sentiment de doute laisse place au plaisir de faire des choses qui me plaisent sans culpabilité.
Quels sont vos projets ?
J’en parlerai au moment venu.