Kao Boudarraj, mannequin et animatrice : “C’est dans notre culture de juger qu’une femme n’est pas crédible”

by La Rédaction

“C’est dans notre culture de juger qu’une femme n’est pas crédible”

Mannequin, animatrice et actrice, Kao Boudarraja est l’ambassadrice de la dernière campagne L’Oréal “I’m Infaillible” qui met en exergue le parcours des femmes les plus influentes de la région, de battantes dont les histoires sont sources d’inspiration. Tête à tête et Instant Insta avec une Wonder Woman.  

La dernière campagne L’Oréal a un message fort. « Être maîtresse de sa vie ». Dans une société comme la nôtre, est-ce possible ? 

   

La preuve ! (Rires) Possible ne veut pas dire que c’est facile à accomplir. Possible veut surtout dire que c’est réalisable en y mettant de la volonté, du courage et en étant psychologiquement blindée ! 

La campagne « I’m Infaillible » met en lumière certaines des femmes les plus influentes de la région, qui se réunissent pour partager les histoires et les combats qui les ont aidées à réaliser leurs rêves et qui ont fait d’elles ce qu’elles sont aujourd’hui, avec toutes les contraintes que nous rencontrons chacune dans sa région.

Je ne cesse de répéter que si l’on a envie de changer de vie et bien il faudra d’abord commencer à la « vivre  » cette vie et à notre manière, selon nos propres règles. En ne ratant aucune occasion de faire entendre sa voix et en changeant les règles du jeu qui ne nous conviennent pas. On ne peut aspirer ou revendiquer une liberté si nous n’allons pas la chercher en nous donnant les moyens de se mettre à dos des gens qui ne comprennent pas notre position et qui estiment que cela ne fait pas partie des priorités à traiter au sein de la société marocaine, maghrébine et musulmane.

Être associée à une marque comme l’Oréal, c’est pour vous une manière de démocratiser votre message ?

Être une ambassadrice de L’Oréal me donne une tribune pour exprimer mes positions, chose rare quand il s’agit de collaborer avec des marques qui ne veulent pas se faire « des ennemis « . Car soyons honnêtes et disons-le, beaucoup manquent de courage à s’associer à des voix et non uniquement à un visage. 

Et le débat sur les libertés/droits et positions de la femme, est un sujet à éviter pour ne pas froisser quelques uns.

Je ne juge pas, mais l’engagement est un choix ! 

L’Oréal fait parler ses égéries et c’est tout à leur honneur. Cela ne date pas d’hier, L’Oréal soutient de nombreuses causes dans le cadre de son engagement en faveur de l’autonomisation des femmes, notamment ses propres programmes « Women of Worth » et « Stand Up ».

Vous êtes la preuve que le mannequinat n’est pas forcément synonyme de superficialité. Est-ce que les préjugés persistent dans ce milieu ?

Les préjugés existent partout où évoluent des femmes et partout où le physique des femmes est mis en avant. C’est dans notre culture de juger qu’une femme n’est pas crédible, car elle porte un décolleté et des tallons aiguilles ! On accordera plus de crédibilité à une autre en col roulé et en mocassins ! Tout ceci n’est que prétexte pour s’éloigner de l’essentiel. Continuer d’attaquer les femmes sur l’honneur, la réputation, les apparences et le statut social. Les mettre dans des cases pour mieux les manipuler en toute impunité et nous évitons ainsi de parler de sujets qui fâchent. Ce n’est qu’une forme de lâcheté parmi d’autres !

Est-ce que vous êtes la femme que vous esperiez devenir ?

Heureusement que non ! Rires 

J’avais beaucoup plus d’ambitions pour ma petite personne quand j’étais plus jeune ! Mais j’ai vite compris que je n’avais pas forcément les moyens de certaines d’entres elles.

A 20ans, on pense que seule la volonté suffit et puis les circonstances de vie nous rappellent à l’ordre.

Je me suis réalisée professionnellement. J’ai pu me faire une petite place au soleil dans mon milieu et apporter une valeur ajoutée à mon métier, mais je me suis plantée sur pleins d’autres choses! C’est aussi ça la vie. Se planter, prendre du recule et rebondir.

On ne dit pas ça souvent à notre jeunesse. Que l’échec fait partie de la réussite et que les casseroles font partie du processus de réalisation de soi. Essayer, se surpasser, se donner les moyens c’est formidable, mais souvent la réussite dépend de bien d’autres éléments et facteurs que nous ne pouvons gérer.

Quel était votre rêve de petite fille ?

Je n’en avais pas! J’étais une petite fille peu joyeuse, voire pas du tout ! Très réservée, je ne regardais pas de dessins animés! J’avoue que je me rattrape depuis peu avec mon fils. Rires. Mais plus sérieusement, j’ai un black-out d’une bonne partie de mon enfance. N’y voyez aucun lien avec mes parents qui ont été formidables, ni avec aucun traumatisme d’enfance, je ne ferais pas ma Cosette. 

Je n’avais pas la tête dans les étoiles, je ne supportais pas les Disney et toutes ces princesses dont le seul objectif est de trouver un prince charmant sur un cheval blanc. Je ne suis clairement pas une rêveuse !!

Et puis, je n’étais pas sociable et appréciais ma propre compagnie et rien n’a changé depuis. Rires !

En début de carrière, saviez-vous déjà ce que vous vouliez faire de votre carrière ou est-ce venu au fur et à mesure ?

Je savais que je voulais devenir célèbre ! Certains pensaient que c’était une question d’égo mais en fait pas du tout, c’est une lecture superficielle de la chose. Célèbre voulait dire tribune et voulait dire sécurité financière.

Je voulais avoir les moyens de faire le tour du monde et de débattre de sujets qui me tiennent à cœur, sans que je sois blacklistée par des décideurs qui vont juger que mon discours ne leur correspond pas. 

Être célèbre voulait aussi dire pour moi, que peut importe d’où l’on vient et là c’est la bent chaab qui vous parle, il est possible de briller par son simple prénom. Mais il y a une grande différence entre une célébrité, un visage public et un influenceur. C’est un autre débat, on y reviendra un autre jour. Rires!

Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez au jour le jour ?

Ma simple existence est une difficulté et un poids à porter au quotidien! Je ne ferais pas de grands discours ni emploierais des termes complexes, mais pouvoir aller acheter une baguette sans se faire harceler et sans se demander sur qui on va encore tomber et si l’on reviendra de ce trajet indemne, c’est la principale difficulté. 

Je ne pointe pas forcément la sécurité de nos rues. Je pointe du doigt un comportement de société longtemps banalisé, jusqu’à en devenir une banalité. Certains se sentent obligés de te siffler juste parce qu’ils squattent le coin de la rue. Que vous soyez seule, accompagnée de votre enfant, de votre conjoint ou de vos parents, personne n’y échappe. Et le comble, c’est qu’on est censée être flattée ! Vous imaginez un peu le travail qu’il y a eu pendant toutes ces années pour faire croire aux femmes que c’est tout à leur honneur de se faire harceler et qu’il faut s’en réjouir et ne surtout pas se plaindre ou traîner cet individu au premier poste de police ? 

Nous avons tous un rôle à jouer sur ce débat. Chaque individu a le droit de se sentir en sécurité et de se balader tranquillement dans la rue, homme ou femme car oui, les hommes aussi se font harceler, moins que les femmes sans doute, mais c’est le cas ! 

Quel regard portez-vous sur cette génération instagrameuse, tik tok, snapchat… ?

Un regard de « has been « , de « vieille », mais pas aigrie ! Rires !

Un regard bienveillant. On pensait que c’était une tendance un peu comme cette technique de maquillage « highlight », celle qui nous fait ressembler à une boule à facette, vous voyez ! Rires. Et bien non, les RS c’est l’avenir paraît-il ! 

Je ne suis que sur Instagram et rarement active.

L’idée de scénariser mon quotidien ne m’emballe pas. J’ai fait de la télé-réalité en bonne et due forme, je ne vais donc pas adhérer à la version low cost, mais j’avoue qu’il y a des créateurs de contenu qui excellent dans ce qu’ils proposent, même s’ils n’ont pas forcément des milliers de followers. C’est là où le mélange des genres est agaçant ! Suivre un « routini lyawmi  » pour fantasmer sur une bonne dame qui passe la serpillère, ou suivre un artiste créateur qui a pour seul atout son talent et sa volonté d’exister dignement !? 

Qu’est-ce qu’il vous reste à accomplir ?

Là tout de suite ? Éplucher des légumes, faire une machine et réparer une lampe qui a rendu l’âme depuis deux semaines déjà. Rires ! 

Trêve de plaisanterie, il me reste tellement de choses à accomplir, tellement de petits rêves et de petits pas en espérant vivre sereinement. 

Je pourrais dresser une liste personnelle, professionnelle et spirituelle…

Mais j’ai appris qu’il faut vivre dans le présent pour mieux en tirer profit..

Qu’est-ce que cette crise sanitaire vous a appris ?

Que je ne savais vraiment pas cuisiner. Je pleure les patates qui me sont passées entre les mains ! Je n’ai vraiment pas la main verte. Rires ! 

On en rit un peu pour pas dramatiser mais cette crise a été une bonne claque de la vie, de l’univers, de la planète terre, de Dieu ! 

Comment faisions-nous avant ? Je ne m’en souviens même plus ! 

Rien n’est acquis, voilà ! Je le savais avant, ayant été confrontée à bien des épreuves compliquées dans ma vie, mais celle-ci aura joué un rôle majeur quant à ma reconversion professionnelle. Notre secteur étant à l’arrêt comme pleins d’autres, il aura fallu faire appel à son instinct de survie. Je me suis donc équipée pour produire des formats depuis mon domicile et m’adapter au mieux. Aujourd’hui, après avoir longuement refusé l’idée d’avoir un travail stable à plein temps, j’ai cédé ! J’ai dit oui ! Ne jamais dire jamais. Rires !!

   

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