Mohamed Salim : «Choisir, c’est renoncer»

by La Rédaction

Mohamed Salim est passionné de lecture et en a fait son métier, sa passion. Pour lui, lire c’est vivre !
Son émission «Ktab Qritou» embarque dans son monde littéraire et rapproche l’audience du livre et de son amour pour le verbe. A livre ouvert avec un journaliste littéraire.

«Il m’est très difficile de choisir les livres qui m’ont le plus marqué. Je me mets à la place des invités qui passent dans Kitab Qritou ; ce n’est pas du tout évident pour eux. Car choisir c’est être injuste envers d’autres livres » rappelle le journaliste et animateur Mohamed Salim qui rappelle une citation d’André Gide, «Choisir, c’est renoncer». «Et dans ce contexte, arrêter mon choix sur trois livres, c’est renoncer à d’autres lectures qui m’ont passionné ». Le journaliste se prête au jeu quand même, il propose trois ouvrages qui l’ont à la fois «secoué, étonné, ou encore dérangé». 

   

Les essais de Montaigne 

L’ouvrage «Les Essais» de Montaigne ne m’a pas laissé de marbre ! Il m’a secoué et ouvert les yeux et l’esprit. C’est une philosophie globale qui touche à tout : l’Homme, la vie, l’amour, la mort et même les animaux. Mon rapport avec mon chat Cannelle par exemple a changé, le jour ou j’ai compris le sens de sa fameuse phrase : «Quand je joue avec mon chat, qui sait s’il ne s’amuse pas plus de moi que je le fais de lui». Le personnage Montaigne me séduit et je m’y identifie. C’est un solitaire, un moraliste, en quête perpétuelle de l’apprentissage de la vie. Il questionne le monde, le cosmos… Pour lui, les questions sont aussi importantes que les réponses et doivent mener à une connaissance du monde qui nous entoure. Le «moi», est donc marginal chez lui, il faut s’en débarrasser. Cette réflexion m’a habité et était durant longtemps, professionnellement parlant, mon credo. Je ne porte jamais de jugement personnel sur autrui. Mon point de vue reste relatif. On n’est pas le même après avoir lu Montaigne. Son adage «Connais-toi, toi-même» m’a servi de lampe torche qui éclairait mon chemin durant des moments obscurs de ma vie. 

Alamut de Vladimir Batrol 

En voilà un roman qui m’a vraiment dérangé ! Alamut a connu plusieurs destins. On dirait un être humain qui renait à chaque fois de ses cendres. Ce roman de Vladimir Batrol est passé inaperçu avant la Seconde Guerre Mondiale. Il a connu un autre destin à la fin des années 80 avec sa première traduction en français, pour connaitre une réussite mondiale après l’avoir assimilé au fameux jeu vidéo Assassin’s Creed en l’an 2000. 

Pour moi, c’est un roman intrigant. Il raconte l’histoire de Hassan Ibn Sabah, maître religieux et chef des hachachines (assassins) qui mène une guerre contre le pouvoir. Il accuse les Seldjoukides de vouloir imposer aux musulmans la doctrine sunnite. C’est aussi l’histoire d’un amour charnel et impossible entre les harems esclaves de ce maître religieux et les soldats en herbe. Mais c’est surtout l’histoire d’un lavage de cerveau mené de main de fer par Hassan Ibn Sabah, qui se base sur l’endoctrinement de jeunes soldats qu’il métamorphose en combattants fanatiques prêts à mourir pour sa cause. Ce magnifique texte est l’unique œuvre de Vladimir Batrol qu’il a écrit en 1938. Il dérange car c’est une œuvre prémonitoire. Elle prédit les fiefs terroristes d’aujourd’hui et décrit les méthodes utilisées par les djihadistes contemporains. La fiction devance alors les événements de l’Histoire. Intrigant !

L’œuvre d’Abdurahmane Mounif 

Mon troisième choix s’arrête naturellement sur l’œuvre complète d’Abdurahmane Mounif. D’abord par compassion puisqu’il a été déchu de sa nationalité saoudienne en raison de ses opinions publiques, ensuite pour son génie, son talent d’écrivain hors pair et sa modernité qui défie le temps. Révolutionnaire dans l’âme, son œuvre se caractérise par un engagement politique ardu, mais aussi par un romantisme remarqué, comme en témoigne son roman  . Il allie parfaitement douceur et brutalité, amour et colère, narration et documentation. Son histoire personnelle marquée par les exils et les incarcérations a influencé toute son œuvre. Je n’oublierai jamais le jour quand j’ai terminé la lecture du 5ème tome de Ville de Sel, c’était un jour de ramadan. Je sautillais tel un enfant arrivé au bout de tous les niveaux d’un jeu vidéo. Je ne me rappelle pas le nombre de fois que j’ai lu et relu Histoire d’amour d’une mage, toujours avec la sensation de la première lecture. Quand la mouche de l’œuvre de Mounif m’a piqué, j’ai vite compris que j’en serai dépendant à vie !

   

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