Dans « Haut et Fort » présenté en compétition officielle du Festival de Cannes ce jeudi soir, Nabil Ayouch émeut une salle qui lui offrira plus de 5 minutes de standing ovation. Des applaudissements mérités puisque le film marocain sur la jeunesse de Sidi Moumen qui s’empare du Rap pour exister est aussi réussi que nécessaire. Ébouriffant !
Haut a été l’espoir de voir une oeuvre qui tient la route et fort a battu le cœur des marocains juste avant les quelques secondes du début du film. Mais dès la première scène, cette impression que l’on ne sera pas déçu envahit la salle, happée par la force du dernier opus de Nabil Ayouch dès les premières secondes. Pourtant l’histoire est presque banale, un professeur de rap débarque dans une école pour faire naitre des vocations. Il n’y a, là, rien d’exceptionnel. Si ce n’est le contexte et le lieu. Nous sommes au Maroc, dans les quartiers de Sidi Moumen, où la plupart des gens ne savent même pas qu’il y a un centre culturel. Un lieu qui permet de sauver des âmes perdues, de sortir des enfants d’un quotidien dur, de leur permettre de rêver via la culture. Au sein des « Etoiles de Sidi Moumen », toute l’équipe révèle le meilleur en chacun, et laisse à chaque personnalité la possibilité de s’exprimer à travers la danse, la musique ou même les deux. La subtilité de la narration, c’est qu’il n’y a pas de sauveur. Le professeur ne viendra pas transformer ces jeunes, à l’Américaine . Il n’y a pas de « Capitaine oh mon capitaine », il n’y a pas de hiérarchie mais une alchimie. Il est là pour leur montrer la voie, les accompagner. Il finira même par grandir auprès d’eux. Peut-être même guérir.
Le rap, cette religion
A travers le fil conducteur de la musique, des textes et de la force du Rap, Nabil Ayouch donne la parole à des jeunes à qui l’on ne parle pas et qui ne s’exprime pas. Dans une tradition de silence où la communication intergénérationnelle est difficile, le Rap permet de verbaliser les maux, de donner un sens aux non-dits. Mais pas n’importe comment. Anas, campé par le surprenant Anas Basbousi aussi stratosphérique que naturellement brut., le rappelle volontiers. Il ne s’agit pas de déverser sa haine, mais d’avoir le courage de raconter une histoire universelle. Dans « Haut et Fort », il ne s’agit pas d’être moralisateur mais de dévoiler les incohérences liées à une société conservatrice, emprisonner dans la non compréhension de la religion ou enfermée dans la peur du flou politique. L’on se pose la question de jusqu’où peut-on aller ? Peut-on tout écrire. L’écriture, qui est au cœur du film, rassure sur cette génération digitale où le stylo est presque vintage. La réflexion que toute une génération a perdu à cause d’un système scolaire qui repose sur l’apprentissage, permet à ces artistes en herbe de se questionner, d’aller au-delà de leur limite, de se challenger, de se connaitre. Qui se cache derrière ces camarades de classe et que se passent-ils dans leurs vies quand ils quittent la classe et retournent chez eux, dans les bidonvilles ou les orphelinats ? Peu importe, puisque la musique est là pour s’oublier et pour rêver à une vie meilleure.
A école positive, société négative ?
Que faire quand l’entourage ne suit pas, est contre ? Virulent parfois. La musique est « hram » , la danse est péché. Faut-il pour autant continuer. Se battre. La réponse de Nabil Ayouch est évidente. Oui ! Les jeunes ont cette force-là, aller puiser dans le rêve et en faire une réalité. Leur réalité. Au service d’une mise en scène aussi linéaire que brillante, Nabil Ayouch suit ses acteurs avec le rythme et le beat d’un bon morceau de rap. Il y a du flow, c’est percutant et émouvant. Le massage est clair, les maux de la société sont pointés du doigt, les dialogues sont prononcés comme les paroles d’une chanson où l’extrémisme, la religion, le sexisme, l’art ne sont pas permis par une société qui a peur du corps et de l’âme. C’est revigorant, jamais anxiogène, les dialogues viennent à point nommé, le rap, la musique et la danse aussi. C’est distingué et dans la nuance, il n’est pas question de juger mais de raconter. Les personnages ne subissent jamais, le misérabilisme est balayé par le courage et les femmes ne tombent pas dans le clichés des faibles et soumises. Elles affrontent, se battent, résistent même si elles sont timides au départ. L’image est au service du propos et de la bravoure, elle est aussi réaliste que métaphorique, il y a cette douce poésie dans l’amer, cette force dans la douceur comme quelques lignes de Rap. Le montage est brillant et fluide, il suit la fougue de cette jeunesse assoiffée de liberté même si elle se sent freinée, la caméra est proche des regards, des expressions, des sourires, des larmes. Elle est constamment dans l’émotion juste. « Haut et Fort » est sûrement le film le plus intimiste et le plus accessible de Nabil Ayouch. Il en dit plus sur le réalisateur de Ali Zaoua et Much Loved que les autres opus. Surement parce qu’un centre comme celui-ci lui a sauvé la vie quand il était enfant. C’est aussi pour cela qu’on lui pardonne tout, les maladresses et les redondances. Parce qu’il s’agit d’un film au supplément d’âme et au supplément d’être qui va droit au cœur. Et c’est le plus important. Le réalisateur est dans une démarche sincère et continue de voir le Maroc en face avec bienveillance et efficacité. Le cinéma, pour lui , est un outil pour changer les choses. Ce film est la preuve que la démarche cinématographique peut être lié à une démarche de vie et pour chanter « Haut et fort » ce que la jeunesse pense vraiment. Dans ce film en compétition à Cannes porté par des grands talents à l’image de Ismail Adouab, ou Meriem Nekkach, il est difficile de croire que le Jury de Spike Lee demeure incessible aux « Beats » de Casablanca. Ils ont raisonné fort dans la croisette ce jeudi soir. Pour une place en haut de l’affiche ? Un prix du Jury ou un Grand Prix ? Micro !