Harcèlement sexuel au Maroc : la cité de la peur

by La Rédaction

Nombreuses sont celles qui ont subi ou subissent tous les jours les agressions sexuelles. Conscientes ou inconscientes, visibles ou vicieuses, les femmes ne sont pas à l’abri d’attouchements, de harcèlement moral, sur leur lieu de travail, sur la voie publique, dans leur propre domicile. Voici leurs histoires

« J’ai été très touchée par l’histoire de la jeune fille de Tanger qui a été agressée par ces deux jeunes idiots qui ont osé la filmer» confie Cherine, 37 ans, cadre dynamique qui se souvient d’une agression il y a quelques années. « On lui a reproché de porter une petite robe sexy, qu’elle l’avait cherché. Moi j’étais en jogging et en doudoune, très malade, j’allais chez le médecin. Je me suis quand même fait agresser». La jeune femme retirait de l’argent à un guichet quand un jeune homme est venu derrière elle pour lui tapoter la fesse. «J’étais tellement choquée, que ça m’a pris quelques minutes pour me rendre compte de ce qui se passait », continue la victime qui se met à crier et à le suivre alors que l’agresseur marche d’un pas déterminé, presque trop zen. « J’étais hors de moi, tout le monde pensait que j’étais folle. Il m’avait agressée et j’étais la folle », continue celle qui finira par rentrer chez elle pleurer et se cacher, au lieu d’aller chez son médecin. Une autre femme forte et déterminée s’est sentie affaiblie, ne s’est pas reconnue, quand elle s’est rendu compte qu’elle subissait un harcèlement moral et sexuel dans son lieu de travail, l’endroit censé être le plus sécure. « Je me suis sentie prise au piège parce que quand on est féministe, on se sent à l’abri de ce genre de choses. Mais non, » confie Imane qui a subi les avances de son mentor, un homme marié. «Ça a commencé par de l’humour, un compliment par ci et par là, des demandes récurrentes de travail et puis des remarques sur ma tenue, ça devenait pesant ». Si Imane commençait à comprendre ce qui se passait, elle avait du mal à le remettre à sa place. « J’ai douté de moi-même, est-ce que j’interprétais mal les choses ? ll avait le double de mon âge, me racontait son weekend avec ses enfants et sa femme avant de switcher sur un compliment déplacé. C’était mon mentor. J’avais besoin de lui, je lui faisais confiance. J’ai senti que la situation n’était pas normale du fait que je n’étais plus moi, je suis devenue faible, je n’arrivais pas à le remettre à sa place ».

   

Silence et culpabilité

« Dans la majorité des témoignages, les femmes harcelées mettent du temps à réagir ou à en parler. De peur de ne pas être prises au sérieux, d’être jugées ou pire, d’être pointées du doigt comme principales coupables. « La loi fait une distinction stricte entre harcèlement et agression. Le harcèlement, ce sont des paroles à caractères sexuelles et l’agression porte atteinte au corps. En psychanalyse, nous portons une grande attention à l’effet traumatique des paroles sur le corps. Dès lors, la frontière est mince entre harcèlement sexuel et agression sexuelle. L’impact des mots peut être dévastateur et ne doit en aucun cas être minimisé. Combien de femmes victimes de violences conjugales peuvent dire que les paroles humiliantes sont aussi virulentes que les coups. Les mots restent à jamais et marquent le corps. Nous parlons de motérialisation pour mettre l’accent sur les mots qui se matérialisent. L’impact des mots sur le corps fait traumatisme » explique Fouzia Taouzari, psychologue clinicienne et psychanalyste. « Je n’ai jamais réussi à en parler. Pendant des années, je me faisais harceler par mon boss mais je ne pouvais pas en parler, je ne pouvais rien faire. J’ai un poste de responsabilité, il est politicien. Il m’était impossible de parler. D’en parler même. J’ai passé 5 ans à rentrer chez moi, retrouver mon mari et mes enfants, et de pleurer la nuit en cachette », confie Sanaa qui a vécu le cauchemar jusqu’à la période de confinement. La pandémie m’a sauvé la vie. J’étais au bord de la dépression, en dépression même. J’étais l’ombre de moi-même. Il me menaçait de tuer ma réputation si jamais je décidais de partir. J’avais besoin de mon salaire et je savais qu’il allait m’empêcher d’aller travailler ailleurs. Il avait bien trop de pouvoir ». En travaillant à distance, Sanaa gagne du temps. Son bourreau ne peut plus l’affecter, ne peut rien contre elle. « Je sais que je gagne du temps. Je suis encore en télétravail, il essaye de m’attendre mais je suis plus forte».

A chacune sa réaction

« La façon de réagir est variable et multifactorielle et cela rend compte de la complexité psychique des vies humaines. La réaction dépend du degré de vulnérabilité psychique, mais aussi de la précarité sociale et subjective. Une constante demeure, on ne peut pas prévoir à l’avance les réactions des victimes. Certaines se tairont parce qu’elles ont appris à supporter l’insupportable. Le fameux « sabri » intériorisé – tel un leitmotiv hérité de notre éducation – qui accompagne souvent les femmes à appréhender les évènements de la vie. Soit la réalité intolérable trouve un compromis par la voie du symptôme – qui sont autant de signaux d’alarmes pour se frayer un chemin afin de dire ce qui est tu – soit c’est toute la réalité du monde qui vole en éclat. Le harcèlement sexuel est un attentat », continue la psychologue. Pour elle, prendre en charge une victime de harcèlement nécessite d’apporter des réponses aussi bien juridiques que psychologiques. Beaucoup de femmes, de par leur éducation, supportent l’insupportable comme une fatalité et une épreuve de Dieu. Réveiller les consciences est une manière de révéler les fils insidieux et ténus du harcèlement sexuel. Nommer les choses, c’est révéler ce qui relève du pathologique. Des femmes se trouvent souvent prisonnières dans leur foyer sous couvert de la religion brandie par leurs partenaires. L’instrumentalisation de la religion peut aller aussi jusqu’à forcer un consentement pour obtenir un rapport sexuel. « Il faut partir du postulat suivant: une femme victime de harcèlement sexuel est une femme qui est meurtrie dans sa chair et dans son esprit. Il s’agit d’abord de tenir compte de cela. Informer, prévenir, sensibiliser, permet d’aider les victimes à dire, même lorsqu’elles se sentent en insécurité matérielle et psychique. Pour ce faire, il est nécessaire de leur faciliter l’accompagnement que ce soit juridique et psychologique ». Pour Leila, aller porter plainte n’est même pas une option valable. « J’étais en soirée, un homme me draguait pendant quelques heures, il me dévisageait, cela me mettait mal à l’aise » se souvient la jeune femme avec ses amies dans un bar de Casa pour fêter une promotion. « J’étais en jean et en débardeur, même si je n’ai pas besoin de le préciser. Il me suit aux toilettes et me plaque contre le mur, se colle sur moi et essaye de m’embrasser. Je tente de me débattre mais c’est un monstre, il est trop fort. Je n’arrive plus à respirer. Il me touche les seins et tente de descendre, quand quelqu’un ouvre la porte et je cours de toute mes forces vers la sortie » continue la jeune femme, qui sous le choc, rejoint ses amies sans dire un mot. «J’avais envie de hurler, pas un cri n’est sorti de ma bouche, j’ai même continué à sourire et à danser, pour ne pas déranger mes amies ». La jeune femme a eu des conséquences lourdes suite à cet incident. Elle n’arrivait plus à dormir, avait peur qu’on la touche, n’a plus eu de relations sexuelles pendant près de deux ans. « J’ai dû faire une thérapie et j’aurais dû porter plainte, mais on m’aurait sûrement dit : qu’est-ce que tu faisais la nuit dehors à boire de l’alcool? Que dire face à cela ». Imane, quant à elle, en a parlé à son RH et à sa direction. Longtemps après avoir doutée d’elle. « J’en ai parlé avec lui aussi.  Je ne voulais plus avoir aucun contact avec lui. On m’a évidemment dit qu’il était comme ça, qu’on n’y pouvait rien. Comment ça, on n’y peut rien ? » s’interroge celle qui avoue avoir toujours vécu avec beaucoup de légèreté le harcèlement de rue. «J’ai grandi avec des garçons, j’ai beaucoup d’amis garçons. En tant que Casablancaise, je marche à pied, à vélo, je porte ce que je veux. Je ne me suis jamais sentie en danger. Mais que cela arrive dans l’endroit où je me sens le mieux : mon lieu de travail. C’était un cauchemar». 

C’est normal…

Souvent, le harcèlement c’est normal, on passe toutes par là. «Je suis actrice, dans mon métier, être harcelée fait partie de la vie de tous les jours, ceux des tournages. Si on n’est pas agressées moralement ou physiquement par le réalisateur, ce sera un des acteurs, le producteur ou encore un des techniciens. C’est infernal » confie Meriem qui passe son temps à se battre et à faire la femme « forte» pour se protéger. «Une actrice est forcément une pute, nous ne sommes pas respectées. Et ça commence au casting. Pour obtenir un rôle il faut coucher, n’est pas un mythe au Maroc ». L’actrice raconte avoir été dans un bureau d’un grand publicitaire pour un casting qui a duré plus de deux heures et où il lui a été demandé d’enlever ses vêtements ou de dire des choses indécentes. «Je n’y croyais pas. Je ne voyais pas où il voulait en venir. C’était affreux ». L’actrice n’est pas un cas isolé. Elles sont plusieurs dans le monde du spectacle en général à témoigner, à raconter. « Personne ne parle, si tu parles tu ne bosses plus, tu ne manges plus », confie Meriem qui rêve d’un mouvement Mee Too au Maroc. « Si cela arrive, le nombre de têtes qui vont tomber est incroyable. Ici il n’y a pas qu’un seul Weinstein, il y en a plusieurs ». 

   

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