ElMekki Lahlou, directeur de l’agence La nouvelle agence RP : L’emprise de l’argent, source finale de « l’autorité »

by Abdelhak Najib

“ La société a perdu la véritable valeur formatrice de la citoyenneté, l’éducation fondatrice de la famille sous :L’emprise de l’argent, source finale de « l’autorité »

Le Maroc, à l’instar de ce qui se passe un  peu partout dans le monde, connaît de manière intrépide le renversement de son échelle des valeurs. Je dirai même que ce renversement touche le cœur central des valeurs qui commandent aujourd’hui aux relations sociales et sociétales du Maroc moderne.

   

Ce renversement est-il dicté par une rupture dans les fondements qui solidifient le tronc commun de la société globale ? – Oui. Va-t-il dans le sens d’une restructuration émancipatrice de l’échelle des valeurs ? – Non. Je m’explique.

La famille, comme source de valeurs, a perdu son autorité morale dans la société, son rôle de régulateur social et de pourvoyeur de citoyenneté.

J’ai grandi, comme toute ma génération, dans une structure familiale où le père jouait un rôle moral central. Dans l’éducation de base qui forme à la citoyenneté, d’abord. Dans la configuration de la cellule familiale, source de la force créatrice de valeurs dans la société globale ensuite et, in fine, comme rempart contre toute déviation qui n’aille pas dans le sens d’une personne ‘’de bonne famille’’.

Cette centralité n’est pas liée à l’autorité du père dans la hiérarchie familiale. Celle-ci a, en effet, perdu de sa valeur organique sous l’impact de la complexification des conditions de vie de bout en bout de la chaine sociale. La centralité dont je parle est fondée sur le rôle moral fondamental que jouait le père dans l’éducation prodiguée aux enfants, surtout dans la formation de l’enfant-citoyen, puis de l’adulte-citoyen comme maillon constructeur harmonieux de l’édifice social global.

La centralité du père s’insérait, il y a à peine 20 ou 30 ans, de manière automatique dans l’échelle graduée des valeurs commandant aux relations sociales et sociétales de la Communauté marocaine. Il était dans l’ordre naturel des choses de la vie que l’enfant en formation reçoive son éducation du père et, en finition, de la mère, puis à travers l’instruction par l’école/lycée/université et, en interaction complémentaire, par le biais du brassage social dans la rue, le quartier, la ville… Le nerf de la guerre comme on dit, l’argent, était considéré comme un instrument de viabilité et de sociabilité et non une fin en soi.

Le renversement de l’échelle des valeurs, en fait des valeurs en elles-mêmes, est significatif des bouleversements qu’a connus la société marocaine dans ce qui fait son identité traversée, de part en part, par la dominance sans partage de l’argent comme ‘’valeur’’ cardinale dans la structuration et l’organisation de la société globale.

La dérégulation de l’échelle des valeurs s’est faite sous l’influence de l’intrusion de l’argent comme valeur cardinale dans la société.

Cela s’explique par trois éléments moteurs fondamentaux. D’abord la perte par le père de la mission essentielle qui était la sienne, force morale éducatrice. Cette perte s’est faite à travers l’intrusion de l’argent comme régulateur de l’autorité, d’une part et, d’autre part, par l’éclatement de la cellule familiale, qui ne joue plus son rôle de force stabilisatrice de la formation du citoyen à la base.

Subrepticement, le rôle accru de la femme comme binôme à part entière dans la starification familiale a contribué, de manière directe et impactante, à la restratification de l’autorité au sein de la cellule familiale. Tous ces phénomènes imbriqués ont dilué la mission d’éducation de base – l’école étant en crise structurelle permanente -, la rue est devenue le lieu de formation citoyenne. Or cette rue est commandée désormais par une valeur conquérante : l’argent.

La loi de la consommation, sous l’effritement de la famille comme force d’éducation d’appoint, a entrainé une autre échelle de valeurs qui ne reconnaît plus qu’une seule autorité : le capital au sens large de cette acception.

La dominance morale, qui commandait à la structuration des relations sociales, n’est plus virtuelle (entendre psychologique et éthique), mais financière et, donc, matérielle. Cette reformulation des valeurs, en fait de cette seule valeur prégnante et pérenne, est explicite de la sclérose de l’éducation par la famille en premier lieu, dédoublée par la crise d’école comme relai fondamental et indépassable de la formation citoyenne. Il s’en déduit une graduation à l’infini de l’autorité, donc du pouvoir de décision, par la force de l’intermédiation désormais inconditionnelle de l’argent comme redistributeur de rangs et de statuts sociaux.

L’argent a ‘’dépravé’’ l’ensemble de la chaine des valeurs, en particulier la valeur-travail Cette redistribution a, bien entendu, attaqué de front l’autre grande valeur d’émancipation sociale, le travail. Celui-ci n’est plus un moteur d’ascension social, mais plutôt un alibi en puissance, lui-même évalué en fonction de l’étalonnage ‘’sonnant et trébuchant’’ qu’il engendre dans l’espace et le temps.

La quête de l’argent à n’importe quel prix et en vertu de n’importe quelle concession, surtout éthique ou morale, a cloué la Vertu pour ainsi dire, le résultat justifiant tout, en particulier la corruptibilité, active ou passive, et son lot de déviations sociales à petite, moyenne ou grande échelles.

Je vis cette dégradation inéluctable, non seulement dans mes relations sociales, mais également et surtout dans mon métier, très sensible à la volonté de puissance que prodigue l’argent facile aux donneurs d’ordre à toute l’échelle de mon métier. Car justement, la communication est l’un des lieux majeurs qui souffre amèrement de l’intrusion de l’argent comme régulateur de l’autorité à toutes les échelles de la vie communautaire. ”

   

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