Hicham Abkari, directeur du théâtre Mohammed V de Casablanca et musicologue : “Nous ne pouvons moraliser une gestion publique si celle-ci reste cachée ”

by Abdelhak Najib

“ Parcourant les rues et places, le promeneur que je suis se prend parfois à vouloir repérer les forces institutionnelles présentes qui permettent à nos villes de fonctionner, de vibrer. L’exercice n’est nullement aisé pour le novice tant les dynamiques en présence offrent un spectacle chaotique, à tel point que nombreux penseraient à l’absence pure et simple d’un système régulateur. Entre embouteillages monstres, habitat anarchique, délinquance galopante, s’immiscent réaménagement moderne de voies publiques, lancement de chantiers d’amélioration du transport public, revalorisation du littoral pour les villes côtières. Après avoir été dans une logique d’action par réaction (donc le problème traité avait toujours une longueur d’avance, prenait « ses aises », « s’installait »), les pouvoirs publics, via leurs bras armés institutionnels, ont opté pour une posture anticipative (urbanisme, délocalisation des sites industriels, lutte contre la pollution…). Cependant, cette louable attitude n’a pas été suivie par un devoir de communication idoine envers la population. La rétention de l’information et le verrouillage du système médiatique marocain n’ont pas permis au public de se faire une opinion sur les avancées non négligeables en terme de gestion territoriale et ont favorisé certains discours politiciens qui ont utilisé cette « faille » (au sens informatique du terme) pour véhiculer des idées tronquées à des fins électoralistes. Et c’est là où le bât blesse ! Les médias ne sont plus seulement des outils de communication mais participent au renouvellement de l’espace public qui est la condition sine qua non d’une démocratie délibérative. Garder la main mise sur les médias traditionnels de grande audience, c’est réduire l’espace où le pluralisme de la société s’exprime, les idées se confrontent, les citoyens évoluent. Face à cette regrettable situation, les urbains ont migré vers le web comme nouvel espace d’expression. Cependant, qu’en est-il du « Maroc profond », là où la connexion est réduite, sinon nulle ! Cette réduction de l’espace d’expression ne se limite pas seulement aux médias, mais englobe aussi l’absence d’une politique culturelle locale permettant la mise à disposition d’infrastructures appropriées pour une interaction artiste/public. Nous ne pouvons moraliser une gestion publique si celle-ci reste cachée, loin du regard du spectateur-électeur, si celle-ci ne se donne pas en « spectacle » ! Libérer l’expression (et donc amender les textes coercitifs y afférents), c’est se pourvoir autant d’un outil essentiel à tout diagnostic de dysfonctionnement que d’un système de veille permettant aux citoyens de différentes sensibilités d’évoluer sereinement dans l’espace commun. ”

   

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