Mohamed Mouftakir : En quête du père

by La Rédaction

Cinéaste exigeant, Mohamed Mouftakir présente « l’orchestre des aveugles »,
 son second long-métrage, à la compétition officielle du  Festival International du Film de Marrakech. Entretien. par Mohamed Ameskane

Des années après le déroutant « pégase », tu nous reviens avec « l’orchestre des aveugles ». Il t’a fallu tout ce temps pour réaliser un second film ?
On ne fait pas un film du jour au lendemain. Faire un film est un long voyage d’où l’on sort complètement transformé. Il faut un moment de repos avant d’entamer une nouvelle aventure. Entre trouver l’idée et faire sortir le film en salle, beaucoup de temps passe. L’idée doit d’abord germer avant de pouvoir être traitée. Faire un film pour moi nécessite le passage par trois phases que je me permets de les résumer en trois questions primordiales. Quel film ? Pourquoi ce film ? et comment le traiter. Répondre à ces questions le long du processus de la fabrication d’un film demande un peu de temps. Dans la moyenne, je fais un film chaque 3 ans. Si on calcule ce processus en terme de temps je vous dis que trois ans c’est peu.
« L’orchestre des aveugles » évoque ton enfance et ta relation avec ton père, Houssein, décédé prématurément à l’âge de 38 ans. Ce retour à l’autobiographie, au-delà du plaisir de réaliser un film, était –il un besoin vital pour toi ? un deuil tardif, une réconciliation ?
L’orchestre des aveugles est un film inspiré de mon enfance, d’où son intérêt pour moi. Raconter mes premières années telles, quelles étaient vécues ne m’intéresse pas et n’intéressera sûrement personne. La magie du cinéma c’est ça. C’est cette éventualité que j’essaie de partager avec le public. La part de l’imagination dans ce film dépasse un peu la réalité. C’est vrai que j’ai perdu mon père le moment où j’avais le plus besoin de lui. J’avais ressenti cette mort comme une trahison. Etant enfant et l’aîné de trois frères je me suis senti abandonné et du fait je ne lui avait pas pardonné cette disparition prématurée. Ce film est une façon de lui dire pardon et de me réconcilier définitivement avec lui.

   

Au-delà du père, le film n’est-il pas un hommage à l’art populaire, en l’occurrence la Ayta ?
J’ai grandi dans la Ayta et dans la musique marocaine des années 70. J’écoutais mon père et son orchestre apprendre les paroles et s’entraîner à interpréter différentes chansons marocaines pour les jouer dans les fêtes de mariage. Ces chansons et cette musique ont ponctué ma vie d’enfant. L’écouter c’est comme une thérapie pour moi. Je vois mal un Maroc sans sa Ayta, un Maroc dénigrant sa culture. Ce film même si ce n’est pas un film sur la Ayta, il en parle en la situant dans un cadre esthétique et symbolique. J’espère que le public va le voir et l’écouter différemment.

Comment as-tu déniché Eliass Jihane, personnage central du film qui incarne Mimou ? et surtout comment tu l’as dirigé quand on sait la difficulté de faire tourner les enfants dans l’histoire du cinéma ?
C’était un coup de hasard, un cadeau de dieu. Une fois que je l’avais rencontré lors d’une séance de casting pour enfants. J’ai tout arrêté sur le champ ! C’était lui et personne d’autre. Je me suis vu en lui et peut être lui en moi. Les temps se sont tout de suite réconciliés. Le passé et le futur ne font plus qu’un. On ne peut qu’être récompensé si on fait un film sur son père. C’est « Rdat loualidine » comme on aime dire chez nous. Rencontrer Iliass Jihane avec cette rapidité ne peut être interprété que comme ça. Ce jour là j’ai su que mon père ne m’ a jamais abandonné et que ce film devrait être fait coûte que coûte.

Le film est coproduit par Emanuel Prévot, producteur, entre-autres, de Luc Besson, que tu as rencontrés grâce à Noureddine Sail, l’image est du chef opérateur Xavier Castro qui a déjà signé celle de « pégase ». Après le baptême de feu au Festival International du film de Marrakech,
le film risque d’avoir une carrière internationale. Tu croises les doigts ?
C’est vrai ! Monsieur Nouredine Sail m’avait présenté un jour Emmanuel Prevost. Il nous a dit avec son sens d’humour habituel, vous deux vous aurez peut être quelque chose à vous dire et il est parti nous laissant seuls face à face. Le voyage a commencé à partir de ce jour là et il ne s’est plus arrêté jusqu’à maintenant. Emmanuel Prévost est un producteur passionné qui ne lâche pas prise. Il a tout donné pour ce film et sur tous les plans. Emmanuel a accompagné ce projet depuis le début jusqu’à nos jours et on n’a pas encore fini ! Il fait tout pour ce film auquel il croît et auquel il souhaite une carrière internationale. Qui ne souhaite pas une carrière internationale pour ses films? Moi mon but c’est que le film plaise aux marocains, je veux qu’ils sortent de la salle fiers du film, de leur cinéma, de leurs acteurs et de leurs culture. Si ça se réalise. On a déjà atteint le but.

   

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