La Commission spéciale sur le nouveau modèle de développement vient de publier le rapport intitulé “Le sport que nous voulons : le pouvoir économique, sociale et stratégique du sport dans le nouveau développement du Maroc” produit par Abdelkader Bourhim, expert en stratégie de développement des clubs et des organisations sportives. Rencontre avec le spécialiste pour parler sport au Maroc.
1. Comment est née l’initiative de faire ce rapport ?
J’ai entamé cette démarche suite à une véritable introspection et cette envie ardente de contribuer positivement au développement de mon pays. Je suis animé par une intime conviction que le sport est en capacité de tout changer. De changer des destins, de changer une nation. J’ai été particulièrement inspiré par ce qu’a dit Mohamed Yunus, prix Nobel d’économie, sur la manière dont le sport et les sportifs peuvent par leur influence, faire passer des messages forts et améliorer l’état du monde. L’annonce de la constitution de la Commission Spéciale pour le Modèle de Développement (CSMD) puis la crise du covid-19 ont agi comme de réels déclencheurs. J’ai eu l’opportunité de rencontrer certains membres de la commission pour échanger sur la question du sport et son importance en tant que levier de développement pour le Maroc. Ma démarche a été plutôt bien accueillie ce qui m’a conforté dans l’idée d’aller au bout de ce projet. Cela fait aujourd’hui plus de 20 ans que j’accompagne les clubs et les institutions sportives dans leur management opérationnel et stratégique. J’ai exercé à l’international et bien sûr au Maroc. Donc je me suis dit qu’il fallait mettre cette expérience au profit d’un secteur essentiel dans le développement socio-économique du Maroc.
« Le Maroc dispose d’atouts considérables pour devenir une nation de sport digne de ce nom »
2 . Quel sport voulez-vous ?
Le Maroc a besoin d’un sport performant et productif. À mon sens, je pense que les marocains veulent un sport qui leur procure des émotions fortes par les performances et qui puisse également jouer son rôle dans le développement économique et social du pays. En réalité, je ne fais qu’apporter une expertise, des pistes de réflexions et des solutions possibles aux difficultés que vit actuellement le sport marocain. Le sport que j’appelle à réformer est un sport qui crée de la richesse et de la valeur, un sport qui crée de l’emploi à grande échelle, un sport qui offre des opportunités pour des jeunes de notre société, un sport qui assure le bien-être physique et mental des marocains et qui bien sûr favorise l’inclusion sociale. C’est aussi, un sport qui permet au Maroc de rayonner à travers le monde et d’affirmer son leadership en Afrique. Le Maroc dispose d’atouts considérables pour devenir une nation de sport digne de ce nom. Ce défi de taille qui s’impose à nous, est sans aucun doute à notre portée, j’en suis convaincu.
3. Comment expliquez-vous ce vide sportif ces 20 dernières années ?
C’est surtout au niveau des résultats que l’on déplore ce vide. Il est, selon moi, lié en grande partie aux fragilités structurelles récurrentes dans la gestion du secteur. Le monde du sport a changé mais pas les politiques sportives. L’événement marquant de ces 20 dernières années c’est la lettre royale aux assises du Sport à Skhirat en 2008. Cette lettre du Souverain rappelait la nécessité de mobiliser l’ensemble des acteurs pour bâtir une gouvernance exemplaire dans le sport. Ce que l’on constate c’est le manque d’appui politique significatif pour les initiatives privées. Il faut progressivement désengager l’État qui subventionne encore beaucoup le secteur. C’est pourquoi, il est impératif de renforcer le déploiement de partenariats publics privés. Il faut donc une vraie politique sportive et des mesures incitatives notoires pour favoriser l’investissement privé dans le sport. Les outils d’exploitation de l’événement du sport ont évolué qu’il s’agisse des infrastructures, de la sécurité, de la logistique, de la technologie ou encore de la formation. Il est urgent de les adapter si l’on veut optimiser la gestion du sport. L’organisation du sport n’est pas efficiente de part notamment la structure juridique et réglementaire qui reste assez fragile. Néanmoins nous avons la loi 30-09 qu’il faut appliquer et renforcer pour permettre les initiatives dans le sport.
« Le sport participe à la construction identitaire et à la formation des individus qui peuvent trouver dans le sport l’occasion de s’épanouir et de se réaliser »
4. On a eu des périodes d’or dans le sport surtout l’athlétisme avec El Guerrouj et toute la compagnie, le tennis avec les trois mousquetaires , le football, dans les années 90-2000. Que s’est-il passé à l’époque ?
Il faut rappeler qu’avant Said Aouita, Nawal EL Moutawakil, Nezha Bedouan, Hicham El Guerrouj et les trois mousquetaires, le Maroc a été champion d’Afrique des nations en 1976. Avant on avait aussi la perle Larbi Ben Mbarek, au temps où le sport était libérateur. Le paradoxe est qu’à l’époque nous avions moins de moyens et moins d’infrastructures et pourtant les performances étaient là. Il est important de ne pas oublier que les techniques d’entraînement, la préparation, l’alimentation et j’en passe, étaient différentes. La technologie dans les équipements de sport était quasi inexistante. Le sport a donc évolué mais les moyens mis à la disposition des athlètes n’ont pas vraiment suivi ce qui rend la performance plus difficile à atteindre. Ce qui est dommage, c’est que nous n’avons pas su réellement capitaliser sur ces exploits. Nous en subissons aujourd’hui les conséquences et nous accusons un retard important.
5. Dans quel état sont nos clubs aujourd’hui ?
L’état structurel, du management et des infrastructures des clubs est assez inquiétant. Les clubs dépendent fortement de leur environnement et les importantes disparités territoriales ne permettent malheureusement pas à tous les clubs d’être insérés dans un processus vertueux de performance. Il y a une nécessité de professionnaliser les clubs en les dotant d’une réelle expertise managériale. La majorité de nos clubs tous sports confondus sont dans des situations compliquées. La crise du covid-19 a exacerbé leurs difficultés notamment financières. Les clubs ont généralement du mal à clôturer leur budget à la fin de l’année. Un des problèmes qui se posent c’est que la plupart des clubs sont encore des associations. Il est donc difficile pour eux d’attirer des investisseurs. Il est nécessaire de s’appuyer sur la loi 30-09 pour accélérer la transformation des clubs en sociétés sportives performantes et productives. Ce modèle permettra l’émergence d’un réel marché sportif et d’une industrie du sport marocain. En somme une marque “Sport Maroc”.
6. Pourquoi ne fait-on pas le lien entre le sport et l’éducation ?
Je salue le travail des nombreuses associations à travers le Maroc qui opèrent dans le sport et qui sont tout à fait conscientes du lien étroit qu’il existe entre le sport et l’éducation. L’ONU a d’ailleurs mentionné le sport comme élément essentiel pour la réalisation des objectifs du millénaire dont celui d’assurer une éducation de qualité. C’est dire qu’ il est aberrant de ne pas comprendre le lien entre le sport et l’éducation ! Le sport contribue au vivre ensemble en faisant la promotion de valeurs fortes telles que le fair-play, la tolérance, le respect et la solidarité. Ce sont des valeurs fondamentales que le sport inculque à sa manière à travers la pratique d’une discipline. Le sport c’est également un levier d’inclusion sociale et une véritable école de la deuxième chance pour les jeunes en échec scolaire. Le sport participe à la construction identitaire et à la formation des individus qui peuvent trouver dans le sport l’occasion de s’épanouir et de se réaliser.
7. Quelles sont vos recommandations ?
Dans ce rapport, je propose dix recommandations, je remercie d’ailleurs la Commission Spéciale pour le Modèle de Développement de l’avoir mis en ligne sur leur plateforme officielle. Les recommandations portent à la fois sur la gouvernance, le cadre juridique, le développement des partenariats publics-privés, les infrastructures de proximité ou encore la formation. Une de mes principales recommandations consiste en la création d’une agence nationale pour le sport dont le rôle est de contrôler, de réguler et de veiller à la bonne application de la politique sportive nationale. C’est une instance qui devra assurer selon moi la bonne gouvernance du sport marocain. Une autre recommandation porte sur la création d’un institut national d’excellence sportive de pointe pour réunir nos meilleurs athlètes tous sports confondus et ainsi les préparer à la performance dans les grandes compétitions internationales. J’insiste également dans ce rapport sur la généralisation du digital comme outil incontournable d’optimisation de la gestion des entités sportives.
8. Y a t-il une volonté politique ?
Je ne sais pas s’il y a une véritable volonté politique. Ce dont je suis sûr c’est qu’il y a une volonté royale, et la lettre de Sa Majesté, aux Assises du sport de Skhirat en 2008 le prouve. Le Souverain avait à l’époque insisté sur la nécessité de faire du sport marocain un vecteur de cohésion sociale et de rayonnement international et régional. Une stratégie nationale du sport a été établie par la suite mais on constate que les résultats sont plus que mitigés aussi bien sur le plan sportif que sur le plan de l’économie du sport. Il y a quelques mois Le Conseil Économique et Social a fait le constat de l’échec de la politique sportive et la question de la gouvernance y est pour beaucoup. Le Conseil Économique et Social a émis des recommandations qui recoupent certaines idées évoquées dans mon rapport. Mon souhait est de voir une véritable prise de conscience par les autorités, qui je l’espère pourront s’inspirer de la lettre royale afin de prendre des mesures politiques fortes qui transformeront en profondeur notre sport.