Sous les fils d’étendage d’un toit à Taza, deux maillots sèchent côte à côte : celui du Maroc, rouge ardent, et celui de l’Algérie, blanc éclatant. Une image simple, capturée sur le vif, mais qui résonne comme un manifeste visuel. Derrière l’objectif, Jinane Ennasri, photographe maroco-américaine, transforme l’ordinaire en symbole. À travers son travail, elle explore l’intime et le collectif, en mêlant avec grâce football, culture et transmission identitaire.
Née en 1996 à Taza et élevée à New York, Jinane puise dans son histoire personnelle un regard profondément enraciné et pourtant résolument contemporain. Dès l’enfance, elle économise pour s’offrir son premier appareil photo, encouragée par son père. Après des études en finance et économie, c’est la photographie qui l’emporte. Elle s’installe au Qatar, mais ses images, elles, racontent surtout le Maroc : ses ruelles oubliées, ses sourires fugaces, ses enfants aux rêves infinis.
Son récit visuel est avant tout un plaidoyer pour une représentation endogène. Trop longtemps, déplore-t-elle, le Maroc a été vu à travers les lentilles d’étrangers – français, suisses, américains. Jinane, elle, veut redonner la parole visuelle aux siens. Documenter Taza, ville rarement sous les projecteurs, c’est pour elle un acte de justice poétique. Chaque photo devient alors un fragment d’Histoire, capturé sans artifice, avec la sincérité du vécu.

Le football, omniprésent dans ses clichés, n’est pas qu’un sport : c’est un langage universel, un théâtre de l’espoir. Dans les quartiers populaires, les enfants transforment les ruelles en stades, un ballon suffit à faire naître les héros. L’épopée des Lions de l’Atlas au Mondial 2022 n’a fait que raviver cette ferveur. Jinane saisit cette énergie brute, ce feu sacré, en photographiant ces visages d’enfants, joyeux, spontanés, fiers de leur maillot, fiers de leurs origines.
Chaque image qu’elle crée s’inscrit dans une démarche de mémoire vivante. Une scène sur une plage vide, deux garçons au travail, un regard vers l’horizon… C’est cette photo, son cliché préféré, qui cristallise selon elle l’âme du pays. Retrouver ces deux garçons des années plus tard et les photographier à nouveau, c’est prolonger le fil d’une histoire collective en constante évolution.
À travers ses séries Live From Morocco, Jinane Ennasri livre bien plus que de simples instantanés : elle propose une relecture intime de l’identité marocaine, entre ancrage profond et regard tourné vers l’avenir. Une œuvre sensible, vibrante, portée par une voix jeune mais déjà essentielle dans le paysage de la photographie contemporaine.