Festival International des Musiques : Andalouses Retrouvailles andalouses à Rabat

by Hicham Belhaj

Organisé par l’Association Ribat Al Fath pour le développement durable, le Festival International des Musiques Andalouses a enchanté le parc Hassan II de Rabat les 4,5 et 6 juillet 2024. Trois nuits magiques, féeriques, mémorables ! par mohamed ameskane

   

Mountazah Hassan II, un jardin sublime à deux pas de la muraille Almohades et du site du Chellah. Avec sa verdure, ses allées, ses bancs design, ses terrains de jeu, ses toilettes propres, ses fontaines…et son joli théâtre romain, c’est le décor adéquat où se sont retrouvés artistes et fans dans une fiesta ouverte et populaire ressuscitant les nostalgies andalouses. L’une des images imaginaires d’Al Andalus n’est-elle pas justement celle du Firdaws perdu ? Un jardin fleuri où le silence n’est perturbé que par le chatoiement des étoffes des belles, le chant des oiseaux et le ruissellement des eaux. Jardin ombragé des philosophes, des sages et des libertins. L’Andalousie de la prose du collier de la colombe d’Ibn Hazm, de la poésie d’Ibn Zaydoun, de la magie des palimpsestes d’Ibn Rochd, Ibn Maimoun et Ibn Arabi, les notes de Zyriab…

La musique ou la langue universelle

Point d’orgue de la 21ème édition de «Khamis Al Andaloussiates», le Festival International des Musiques Andalouses a invité des groupes musicaux d’Espagne et du Portugal, ainsi que les orchestres marocains de Rabat, Salé et d’Oujda. Belle manière de célébrer un patrimoine commun et mettre en valeur les valeurs que partagent les trois pays imprégnés par l’héritage andalou, à savoir la coexistence et la symbiose entre les trois religions du livre.  Un modèle, unique dans l’histoire de l’humanité, à ressusciter et à offrir à un monde qui a l’air de perdre ses repères. L’occasion idéale n’est-elle pas celle de l’organisation du mondial 2030 justement par les royaumes du Maroc, d’Espagne et la république du Portugal.


Fatima-Zohra Qortobi et la cantatrice du Fado du groupe Ricardo J.Martinis.

Le bal fut ouvert par la voix ensorceleuse de la soprano Samira Kadiri. Accompagnée de ses musiciens, La diva nous a fait voyager à travers le pourtour méditerranéen interprétant des Andaloussiates et autres chants  des siècles de la connivence. Lauréate de l’Institut Supérieur de l’Art Dramatique, au moment où ses collègues choisissent les planches théâtrales, elle fréquente les maîtres de Tétouan et étudie les anciennes techniques des chants arabo-andalous, sépharades en se perfectionnant en Ladino, langue des juifs de l’Andalousie, Las cantigas de l’ancien castillan, sans oublier les morceaux chers aux troubadours. En chercheuse et conférencière, elle ne cesse de chanter et de questionner le riche répertoire musical méditerranéen dont la source reste l’Andalousie mythique, terre de la symbiose des langues, des religions et des trois cultures.

En deuxième partie de cette soirée, le groupe espagnol de Pedro Burezzo nous a offert un moment rare avec des interprétations soufies où les langues et les religions se juxtaposent. La démonisation en fut faite quand sa voix et celle de Samira Kadiri ont fusionné pour le grand plaisir d’un public ébloui. 

La deuxième soirée fut ouverte par un concert dédié au Fado, genre qui résume la quintessence de l’âme portugaise. Depuis la Oum Kaltoum du genre, Amalia Rodrigues, des voix sublimes et nostalgiques continuent de célébrer, à travers le monde, ses notes de guitares et ses chants mythiques. Comment oublier cette soirée avec la troupe Ricardo J.martinis, surtout sa cantatrice à l’énergie débordante. Malgré le frein de la langue, elle réussit à enrôler le public qui l’accompagna au long de son concert ! En deuxième partie, c’est la troupe gharnatie d’Oujda, dirigée par Ahmed El Fakir, avec la grande voix de Fatima-Zohra Qortobi, qui nous a offert un concert mixant mouachahat, gharnati et autres morceaux judéo-maghrébins. Le public, connaissant par cœur les morceaux marocains et orientaux, accompagna la cantatrice au long de la soirée. A un moment, Fatima-Zohra Qortobi nous annonçait une surprise qui n’était pas au programme, l’interprétation d’El Guelsa di Fass par le chef d’orchestre Ahmed El Fakir qu’elle lui attribua comme sa propre création ! Sa version, qui passe en boucle sur les réseaux sociaux, est un refrain des années du début du siècle dernier ! « mazal ma n’sit l’galsa di fas/lakhlaâ ou jariaâ l’kass ou al ain al kahla ijarhou lakbida ya nass/koulchib’lkaiîda » (je n’ai pas encore oublié la fête de Fès/l’amour, le verre et les yeux noirs blessent les cœurs messieurs/le tout avec douceur). Interprétée par Nessim Anakab, Reinette l’Oranaise, Lili Lâbassi, Muijo Atia, Blond-Blond, Botbol, Maurice Medioni…Al galsa di fas reste l’un des refrains les plus emblématiques du répertoire judéo-maghrébin. 


Samira Kadiri en fusion avec l’espagnol Pedro Burezzo.

Une clôture en apothéose

Le dernier grand concert du festival a réuni les troupes espagnole, portugaise, un ensemble de voix masculines et féminines (Abdallah al Makhtoubi, Fatima-Zohra Qortobi, Narima Bekkioui, Chaimaa Roudaf) ainsi qu’une pléiade de troupes ayant animé « khamis al andaloussiates» au long d’une vingtaine d’années: l’orchestre de Rabat Salé de musique al Ala, jawk chabab al andalus, jawk Hatim Loukili, jawk Afrah Assamaa, jawk al andaloussi, jawk tarab gharnati. Les Abdelkrim Guedira, Moulay Hicham Belghiti, Soufiane Guedira, Abdelkrim Mansouri étaient de la fête. Et quelle fête! Son ouverture avec le fado, les morceaux mystiques qui se suivent, les chants solos, l’interprétation de Pedro Burezzo de Chams al achi…Bref, une soirée magique dont les chants et les notes resteront gravés dans nos oreilles ! Une démonstration de plus que personne ne peut nier aujourd’hui que l’Autre fait partie de nous. Qu’une partie d’Espagne et du Portugal vibre dans le cœur des Marocains et que l’héritage arabo-andalou est un affluent  de l’histoire et des  cultures espagnole et portugaise. Tout au long de notre histoire commune, nous avons connu des périodes de conflits mais aussi de pages lumineuses. Ce sont ces dernières qui restent à réécrire.

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