Hajja Hamdaouia : La ayta pop en deuil !

by La Rédaction

 De sa voix inimitable, le  » bendir  » à la main, Hajja Hamdaouia a enchanté des générations de mélomanes. Celle qu’on surnomme  » l’Edith Piaf du Maroc « ,  l’une des figures emblématiques de la Pop marocaine, vient de nous quitter ce lundi 5 avril 2021 a l’hôpital Cheikh Zayd de Rabat. Retour sur un fabuleux destin.

   


“On m’appelle l’Oriental, musique arabe et espagnole, Hajja Hamdaouia r’ddatni mahboul « , (elle m’a rendu fou). C’est en chanson que Salim Halali présentait à son public celle qu’il appelait affectueusement  » benti  » ( ma fille), sa nouvelle trouvaille, sa coqueluche . C’était dans les années cinquante, au Coq d’Or, prestigieux cabaret que le chanteur de charme a installé en 1949 dans l’ancienne Médina de Casablanca. A son évocation, Hajja Hamdaouia a toujours une chaude larme à l’œil.  » Salim est plus qu’un ami, c’est un frère. On a partagé le pain et le sel et il m’a tout appris : comment s’habiller avec des Caftans Elkhrib, comment se tenir sur scène, comment chanter, bref comment être respectable et respectée, enfin comment être fière de mon métier… « 


C’est en 1930 que Hajja Hamdaouia a vu le jour à Derb Karloti, quartier populaire de Casablanca. Elle grandit au sein d’une famille dont le père est un invétéré mélomane. Chérif, originaire du Sud, de Zagora, commerçant, si Larbi Mohamed invitait souvent  à la maison  les Chikhates et autres Abidat R’ma. Très jeune, Hajja Hamdaouia rejoint la troupe théâtrale de Bachir Laâlej en compagnie des Bouchaïb Bidaoui, Ahmed Souiri, Lahbib Kadmiri, M’faddel Lahrizi avant d’intégrer l ‘orchestre  » Al Kawakib « , présidé alors par le maestro Maâti El Bidaoui qui fut le premier à découvrir les riches potentialités de sa voix. C’est dans ce contexte que Salim Halali lui fait appel pour interpréter, au fameux Coq d’Or, les mythiques morceaux Mersaouis, chers aux Bidaouis.


En 1953, elle compose  » Waili ya chibani « , Ayta se moquant de la vieille gueule de Ben Arafa, illégitime remplaçant du roi Mohammed V. Le morceau est devenu un tube que fredonnaient tous les Marocains. Il fut à l’origine de ses tracas avec les autorités coloniales, ce qui lui valut un bref séjour en prison. Dans une attestation, datée du 25 novembre 1977, émanant du cabinet royal et cosignée par le Haut-Commissariat à la Résistance, Ahmed Bensouda, conseiller du roi Hassan II, évoque cet épisode de sa vie dans des termes élogieux.  » La populaire et bien aimée Hajja Hamdaouia de Casablanca est une studieuse dame et une enthousiaste artiste. Elle s’est mobilisée et a mobilisé toutes ses potentialités artistiques, surtout après la déportation de feu Mohammed V, pour dénoncer l’occupation et participer, avec ses admirables morceaux, à exalter le sentiment nationaliste « .


Elle s’exile à Paris où elle décroche un contrat de travail au cabaret Morocco, chez Maximes, à Saint -Paul grâce à un nationaliste. Dans la ville- lumière, elle retrouve Ahmed Jabrane et Mohamed Fouiteh à qui elle emprunte et chante  » Aw maloulou  » et se lie d’amitié avec les grands chanteurs et musiciens orientaux et maghrébins, les Raoul Journo, Ali Riahi, Maurice Mimoun, Samy Elmaghribi, Albert Souissa, Jirari et autres Hadi Jouini, auteur du mémorable  » ya rraih « . En leur compagnie, elle se produit dans les cabarets arabes de la capitale, Al Jazair, fondé par Mohamed Iguerbouchen rue de la Huchette, Le Koutoubia, rue des Ecoles, La Kasbah, rue Saint-André- des -Arts, Layali Loubnan (les Nuits du Liban) et le Tam-Tam dont le propriétaire n’est autre que le père de sa copine Warda Al Jazairia. Bénéfique escale ayant enrichi son répertoire. Elle ne rentre au pays qu’avec le retour du Roi Mohammed V et ne cesse depuis de régner sur la scène de la Ayta Pop. Radios, télé, fêtes intimes, publiques ou nationales, Hamdaouia est sur tous les fronts. Et le fameux  » Mnin ana ou mnin n ‘ta « , interprété avec l’orchestre national, est sur toutes les lèvres.
Des années plus tard, elle retrouve Paris pour s’y produire à la Mutualité, à l’Olympia, à Bercy, au Zénith et à l’Institut du Monde Arabe .
Des tournées suivirent un peu partout en France, avec un concert en compagnie de celui qu’elle appelle  » mon fils « , cheb Khaled et un autre avec l’autre grande dame de la chanson maghrébine, cheikha Remiti, en Europe, aux Etats-Unis et au Canada. A Montréal, elle se produisait dans un restaurant marocain clôturant ses récitals par des  » thank you bab Marrakech « , subtil clin d’œil aux convives, en délire, dans leur majorité des juifs originaires de Casablanca.


Sa trajectoire, ses chansons avec allusions fines et coquines, ont fait d’elle, comme le note Rabah Mezzouane,  » la figure emblématique qui permit aux femmes de retrouver la parole « …

De Salim Halali, qu’elle accompagna à Tanger, au Koutoubia Palace, aux prestigieuses réceptions et somptueux mariages, ainsi qu’au cours d’un mémorable concert au Palais des Congrès à Paris, elle sauvegarde et chante les Mawals et le refrain tunisien  » yalli nssiti khalek « . L’interprétation de sa chanson,  » Ma yiddishe mama  » dans le film  » Retrouver Oulad Moumen  » d’Iza Génini, fut émouvante. C’est en nous la fredonnant qu’elle évoque sa dernière visite au maître dans sa retraite niçoise… On ne se lasse pas d’écouter celle que le poète Hassan Nejmi qualifie de  » livre ouvert de la mémoire « . Elle conclut notre intime et nostalgique conversation par un :  » Ah ! Le Coq d’Or et Salim, une époque bénie, Khssara à jamais révolue « . Et une autre chaude larme coula sur sa joue…

Les chaudes larmes vont couler sur les joues de ses fans qui continueront à fredonner ses airs en guise de prières !

Refrains de la mémoire

 
 » Mama hyiani « ,  » Ayamna « ,  » Al aar,al aar « ,  » Salba, salba « ,  » Jilali bouya  » … sont quelques-uns des dizaines de refrains que retient et fredonne la mémoire collective nationale . Dès l’âge de dix-sept ans, Hajja Hamdaouia a entamé sa carrière par un riche et varié répertoire . Des morceaux aux sujets religieux, nationaux, de société ou d’amour courtois et osés. A l’instar d’un Houssein Slaoui, Bouchaïb Bidaoui ou Jacob Botbol, elle participa à  » l’urbanisation « du chant rural , la ayta  ou le blues des plaines atlantiques. Spécialiste du Mersaoui dont elle a créé de nouvelles orchestrations , notamment pour « Laghzal  » et  »  » Alhaddaouiat « , elle excelle dans le Mawal gharnati, les chansons algériennes et tunisiennes, le judéo-arabe, utilise des formes rythmiques et des mots Amazigh et se permet même de brèves incursions dans le flamenco avec des  » Chica, chica…olé ! « .
Son premier album est enregistré, avant Bouchaib  Bidaoui,  chez Boussiphone à Casablanca . Que ce soit au Maroc, en Algérie, en Tunisie ou en France, les sociétés de production et de distribution s’arrachent ses faveurs , les Pathé Marconi, Casaphone et autre Tichkaphone .Aujourd’hui ses airs sont repris à travers le monde arabe par les nouvelles générations.  » Hak a dada « , l’un de ses célèbres morceaux, n’a-t-il pas fait le bonheur de la génération clip et la fortune d’un khaliji, Nabil Chouail?!
A plus de soixante-dix ans, elle concocte un album avec Oulad Bouazzaoui, jeunes gardiens zélés de la tradition Marsaoui, et reçoit des  propositions pour accompagner des groupes des marocains du monde.  Belle et originale manière de transgresser    frontières   et   genres… 

Mohamed Ameskane

   

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