Hicham Lasri : « Il faut questionner les évidences»

by La Rédaction

Cinéaste, bédéiste, écrivain, artiste aux multiples facettes, Hicham Lasri s’exprime librement, et le canal n’est pas un obstacle , bien au contraire. Avec « Culture Batata », de sortie aujourd’hui, le cinéaste s’essaie au podcast avec un contenu aussi audacieux que dérangeant. La culture de la Patate pour nourrir la satire d’une société marocaine qui n’a de cesse de l’inspirer? Hauts les coeurs, et à bas les consciences avec Hicham Lasri…

  1. Qu’est-ce que culture Batata ?

C’est un projet que je porte en moi depuis quelque temps. Une année ou deux . J’adore commencer par le titre, j’ai noté le titre quelque part dans un de mes carnets. Je trouvais intéressant de faire cela sous forme d’émission. Et puis j’ai découvert l’univers du podcast. J’ai toujours un retard sur les tendances , je laisse toujours passer une vague ou deux avant d’attraper la troisième. Qui est généralement plus propre et plus professionnelle. Cela rejoignait mes préoccupations. Je suis un peu un observateur de la société .Je ne suis pas obligé de donner ma voix à mes personnages. De donner mon avis. Le podcast m’a permis de retrouver mon statut de jeune critique de cinéma, quand j’avais 18 ans et que je publiais des articles sur des films. Des réalisateurs marocains m’en veulent encore, je publiais des articles un peu assassins. La création musicale et sonore est très importante pour moi. Je me suis retrouvé à travailler sur le sound design ,le télescopage. Je voulais avoir quelque chose de pop, pop c’est aussi Hajja Hamdaouia, ce n’est pas que Homer Simpson…

   

« Le podcast m’a permis de retrouver mon statut de jeune critique de cinéma, quand j’avais 18 ans et que je publiais des articles sur des films. Des réalisateurs marocains m’en veulent encore »

Je voulais quelque chose de sonore facile à écouter mais avec un point de vue, qui n’est pas là pour conforter les gens dans leurs convictions mais plus pour déranger. Anarchiste et punk comme je suis, je suis là pour les faire dialoguer. La dialectique est la base même de la civilisation. C’est toujours intéressant de proposer une vision qui peut être conflictuelle mais qui permet de comprendre mieux. C’est toujours une question de valeurs et d’éthique. J’ai commencé par l’histoire de la pétition, d’avoir une pétition et une contre pétition, ça en dit long sur le courage de nos concitoyens, et leur manque de civisme. Et de parler de féminisme de pacotille. Les gens pensent que je parle de féminisme. Mais non. C’est la version made in China du féminisme. De ces personnes qui profitent de cela pour tirer la couverture à eux. Malheureusement, c’est comme en politique, les choses ne sont pas toujours faites pour les bonnes raisons. Je sais que je vais m’attirer des ennuis. Des gens ne vont pas comprendre, vont me prendre pour un réac ou un vieux schnock mais je n’ai pas peur .Moi en tant que garçon élevé par sa maman , je sais ce qu’être une femme. Ses combats, sa force. Je ne dirai jamais quelque chose de négatif sur la femme. Je ne suis pas là pour tout gober. Beaucoup essaie de calquer des modèles d’autres sociétés. Et après ils s’étonnent que le greffe ne tienne pas. Cela devient la faute de la société, qui n’est pas assez évoluée. Hors, c’est témoin d’un manque de générosité affolant, des gens qui ne sont pas capables de voir qu’on est pas forcément équipés maintenant. Ou que ce n’est pas notre truc. Qu’on fasse les FEMEN au Maroc, c’est intéressant. Que ce soit un mouvement de femmes qui portent le voile, pourquoi .Ce serait étonnant. Mais que l’on fasse quelque chose d’automatisé, non. Il faut questionner les évidences. C’est là où se cache le diable. 

  • Pourquoi sous la forme d’un podcast cette fois-ci ?

Je trouvais que c’était intéressant parce qu’il y une forme de désuet. Je ne cherche pas à faire le buzz ou à être connu. J’ai accompli ce que je voulais accomplir dans la vie. Je continue à faire les choses qui me passionnent. Je trouvais l’exercice littéraire du podcast intéressant, sans la vidéo puisqu’évidemment il aurait été facile de me filmer. Mais je ne voulais pas. Je voulais la voix. Et puis c’est une façon de me moquer de moi-même. De cette histoire d’accent en anglais, en français, en arabe. Et en faire un prisme de ce qui nous dérange dans la société. Il y a deux approches. Soit on gueule  et on ne fait rien, soit on essaie de comprendre, d’avoir cette générosité de tenter de comprendre et de souligner artistiquement. Je suis un grand fan de Nass El Ghiwane parce qu’à un moment , ils ont eu le culot de dire des choses vraies sur la société même si cela faisant mal. Ils étaient exposés à des représailles du système. Je suis un citoyen marocain, Casablancais, passionnée par sa ville qui souhaite la voir évoluer, voir son pays évoluer. Mais pas en forcément en écrivant des choses sur le mur de lamentations de facebook. Je suis plus dans une prochaine ironique. Parce que cela fait tilter les gens. Plus que la colère. Je m’extrais de cette dépression globalisée pour proposer un petit projet frais , jeune, marrant, fait avec une jeune femme brillante qui apporte sa plus-value, sa jeunesse. Moi je suis un vieux loup mais j’essaie de rester dans le coup pour évoluer en tant qu’humain et citoyen. 

« Avoir une pétition et une contre pétition, ça en dit long sur le courage de nos concitoyens, et leur manque de civisme ».

  • On sent une liberté infinie dans votre moyen de créer, comment s’impose à vous, le canal de création , le moyen de vous exprimer? Film, livre, son ?

Pour moi une histoire est une histoire. Que ce soit un film, un livre, une pièce de théâtre, une chanson ou un podcast, on raconte quelque chose. J’aime parler de « story telling », les anglais ont toujours les meilleurs mots pour décrire les choses. Je trouve passionnant de passer d’un genre à un autre en gardant la même fibre. Avec le même Adn. Il y a des choses que je ne maitrise pas, je ne suis pas preneur de son par exemple, donc cela demande un savoir-faire technique que je dois acquérir avant de commencer à travailler. La base est simple, je m’assois avec mon papier ou devant mon ordinateur, j’écris quelque chose et ce quelque chose prendra la forme qu’il prendra. J’ai fait assez de films, je bascule vers la littérature. Le prochain film que j’ai envie de faire est prévu dans 2-3 ans. La question de liberté vient du travail. Plus on travaille plus on devient libre. On apprend à maîtriser les choses, les choses deviennent plus faciles. On gagne plus de temps et l’on devient plus forts. J’ai tendance à être hyper actif. Mentalement. Je ne peux pas me reposer parce que c’est le seul moyen de vieillir. Quand on s’assoit sur ses idées, on prend du ventre , on n’arrive plus à se relever et on commence à avoir mal au genou. Je passe mon temps à faire beaucoup de sport, à courir le matin, à être étonné par ce que je vois. A garder cet âme d’enfant, à être émerveillé par tout. Cela fait de toi quelqu’un de singulier. Mais cela peut être dangereux puisqu’on ne peut pas te dominer , te maitriser. Et nous sommes dans un pays où il faut attendre d’être mort pour être célébrer. Je n’ai pas envie d’attendre de décéder pour que l’on me célèbre. J’ai envie de m’essayer à plusieurs choses en tant qu’artiste, m’exprimer autrement. La création passionnelle me crée de l’énergie. 

« La première mort c’est quand on est satisfait de soi »

  • Quelle a été la principale difficulté dans l’exercice du podcast ?

Je ne sais pas. J’ai travaillé tranquillement avec Chaimaa Amine, qui met la voix, qui s’occupe de la gestion de projet comme une productrice de musique. Il fallait enregistrer le son, le ré- enregistrer. Travailler dans mon coin le texte pour qu’il sonne moins lu , plus parlé. C’est quelque chose de nouveau pour moi. Je suis bavard. Comme je suis un éternel insatisfait, je m’oblige à passer à autre chose et à me dire que ce sera mieux la prochaine fois. La première mort c’est quand on est satisfait de soi. J’essaie d’apprendre à chaque fois. L’apprentissage est une science intéressante , un sport intéressant. Ce qui est difficile, on l’apprend. Ce qui est inatteignable, on essaie de l’approcher, l’impact on ne le maîtrise pas. 

  • D’où vient cette boulimie de créer ?

Je ne sais pas . C’est mon mode de vie. Regarder le foot ou manger du chocolat se fait passionnément, moi ce qui m’intéresse chaque jour c’est de créer. J’ai toujours 2 ou 3 projets en même temps. Chaque fois que l’un me fatigue, je passe à l’autre. Pour garder mon énergie intacte. Je me suis rendue compte que je suis passionnée par les même choses que quand j’avais 16 ans. J’en ai 44 aujourd’hui. Un régisseur m’a apporté un jour, un magazine qui s’appelle CinéNews. Un magazine de cinéma que j’achetais jeune. En le voyant j’ai eu un terrible moment d’émotion parce que ça m’a rappelé des choses. C’est que j’ai gardé mon âme d’enfant, mon côté Peter Pan. C’est ce qui nous garde frais, jeune , passionnés par le monde. J’ai fais des choix stratégiques dans ma vie de sorte à ne pas m’alourdir de choses bureaucratiques. Je n’ai jamais cherché à être producteur. Je m’entoure des bonnes personnes. Il y a des gens indéboulonnables dans ma vie comme Lamia Chraïbi. Chaque projet est porté de rencontre, d’aventures. On est à l’abri de l’ennui. 

  • Est-ce vous appréhendez un film comme un livre, une BD, un clip ou un podcast ?

Cela découle du même fleuve. Cela rejoint la même énergie. Pour un film on a besoin de 60 personnes autour. Pour écrire un livre, on a besoin de son café en face. Pour de la musique, on dépend d’un groupe. Un studio. De plus en plus , je privilégie l’aspect collaboratif. J’ai fait le tour de moi-même , de ce que je suis en tant que personne. J’aime d’autres visions. Rien n’est plus passionnant que de s’engueuler avec l’autre pour se mettre d’accord, ou pas. Je n’ai pas envie de devenir un crouton bourré de certitudes. J’ai envie de vivre des choses, tous les jours, qui permettent d’évoluer émotionnellement, humainement, à tous les niveaux. Si on est passionné par ce que l’on fait, on ne compte pas. Karmiquement, c’est une grande chance de faire ce que l’on aime, et d’être bons dans ce que l’on fait. Je le ressens cet amour, et c’est assez extraordinaire…

   

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