Les silences des pères, le nouveau roman de Rachid Benzine

by La Rédaction

La rentrée littéraire commence en beauté. L’islamologue, politologue et enseignant franco-marocain Rachid Benzine a tenu à ce que la première présentation publique de son nouveau roman se déroule au Maroc. La terre où il est né et qu’il a quittée enfant avec toute sa famille, son père ayant décidé d’immigrer en France, espérant y construire un avenir meilleur. C’est à ce père, et à tant d’autres pères comme lui, que Rachid Benzine donne la parole. Rencontre avec un auteur, un fils, un passeur de mémoire.

   

– Qu’est-ce qui a déclenché l’écriture de ce livre ?

Le silence de mon père est une question que je porte personnellement et depuis très longtemps. Mon père est taiseux et autour de moi, en tout cas dans le contexte de l’immigration, beaucoup sont, comme lui, silencieux, des pères polonais, italiens… J’ai d’abord mis cette question en lien avec l’exil. Dans l’exil, il y a quelque chose qui meurt et les exilés sont souvent des « cadavres en sursis ». Puis en élargissant le champ, en allant en province et dans les campagnes, j’ai découvert que de nombreux Français ont aussi des pères silencieux. Est-ce le fruit d’une génération ? C’est une vraie question.

Comment expliquez-vous ce silence, justement ?

En explorant toutes les fonctions de silence, j’ai constaté qu’il y avait beaucoup de silences et de pudeur dus, notamment, aux souffrances et aux drames qu’ils ont vécus. Ces pères ne souhaitaient pas les raconter pour ne pas les donner en héritage à leurs enfants. En creusant encore davantage le silence, il m’est aussi apparu comme une manière d’être face au chaos, une façon d’habiter le monde dans une société où il y a énormément de bruit. Le silence est une parole qui est à entendre et qui est globalement interrompue par les mots que vous énoncez. Maeterlinck disait que chaque fois qu’on brise le silence, on le brise par des moments de non-vie.

L’écriture de ce roman vous a-t-il incité à plus communiquer avec votre fils ?

Je fais partie d’une génération de pères qui passent plus de temps avec leurs enfants et qui expriment leur amour par des mots, car nous avons confiance dans les mots. Nombreux ont été les pères de l’immigration qui ont courbé l’échine, qui se sont sacrifié sans rien dire et leurs enfants n’ont pas perçu ce sacrifice. On a raconté des pères violents, pas des pères qui ne savaient peut-être pas suffisamment dire à leurs enfants qu’ils les aimaient. Globalement, ils le disaient autrement, mais il fallait savoir le décoder.

Dans votre roman, comment le silence se rompt-il ?

Le fils, qui avait coupé les ponts avec son père, revient dans le quartier de son enfance à la mort de celui-ci et découvre sa vie, à travers des cassettes audio. Il réalise un véritable road trip de la mémoire comme on traverserait un pays : il s’immerge dans le monde ouvrier français d’autrefois, les conditions difficiles, les luttes qui ont été menées. J’ai l’impression qu’on n’a pas été suffisamment reconnaissants envers ces pères pour ce qu’ils ont enduré sans rien dire, soit parce qu’ils avaient décidé de souffrir en silence, soit parce qu’ils ne trouvaient pas les mots. Peut-être que tout simplement ils travaillaient trop pour construire des souvenirs avec leurs enfants. Peut-être aussi que les enfants n’ont pas assez cherché à connaître le récit de leur père.  

Est-ce que l’absence de récit du père a participé à cette recherche de valeurs qu’on évoque parfois ?

Quand certains n’ont pas de figure du père, en tout cas pas son autorité, ils ont tendance à la chercher ailleurs, parfois dans le religieux, de manière très autoritaire, voire extrême.

Ce roman est-il à prendre comme le pendant de « Ainsi parlait ma mère »

Effectivement, ce livre rend hommage aux mères, mais je crois qu’il est juste de pouvoir équilibrer, en réhabilitant les pères et en faisant entendre une parole qui n’est pas suffisamment audible. Je donne souvent l’exemple des footballeurs marocains, demi-finalistes de la Coupe du Monde, qui ont été reçus par Sa Majesté le Roi Mohammed VI. On voit les fils, on voit les mamans. Mais où sont les pères? N’auraient-ils pas droit de cité eux aussi ? N’ont-ils pas participé à ce que sont devenus leurs enfants ? Qu’est-ce qu’une société où les hommes ne peuvent pas exprimer leur sensibilité et leur vulnérabilité dans la dignité, où ils n’ont pas leur place de père ?

Pour aller au-delà des silences des pères, rendez-vous dans toutes les librairies du Maroc !

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