Touhami Ennadre au MMVI : Noir désir, noir plaisir… !

by La Rédaction

Après les photographes africains, Gérard Rancinan et Henri-Cartier Bresson, Touhami Ennadre clôture en beauté…noire la saison photographique du musée Mohammed VI d’Art Moderne et Contemporain. A ne pas rater du 22 juin 2022 au 30 janvier 2023.

«Je suis autodidacte. Ma pratique, je l’ai inventée de bout en bout. Je me sers d’un appareil sans viseur pour m’approcher au plus près de mon sujet, je le saisis à l’insu et à l’arrache, dans le mouvement comme le footballeur intrépide qu’enfant, je fus. » Tout ramène à l’enfance.

   

Le monde et l’imaginaire créatif de Touhami Ennadre trouvent leurs sources inspiratrices dans les méandres de l’ancienne Médina de Casablanca. L’enfant de Sidi Fateh reste marqué à jamais par ses pas dans l’univers de symbiose que connaissait la cité de Sidi Belyout. A l’occasion de la visite au Maroc du Pape François en 2019, Touhami Ennadre exposait à la cathédrale Saint-Pierre de Rabat sa «prière des hommes».

Dans la plaquette-invitation, il décrit sa médina : « A l’époque, Juifs, Chrétiens et Musulmans y pratiquent l’art de la cohabitation. Nous, les gosses, pratiquons toutes les fêtes religieuses. A la Mimouna, j’accompagne ma mère au Mellah chez ses amies juives et je m’empiffre de gâteaux. A Noël, je rêve du cadeau que me réserve ma tante chrétienne.

J’achète la Mahia de mon père chez le marchand juif de charbon. Sur le chemin de mon école, m’escorte l’écho des cloches de l’église espagnole Buenaventura, toute proche de la synagogue Ettedgui art-déco, elle-même voisine de l’ancienne mosquée Ould-el-Hamra. Les franciscaines nous vaccinent, nous apportent des denrées de première nécessité, et lorsque je vais baragouiner le français avec une sœur à la mission-goutte-de-lait, je reviens souvent avec des crayons de couleurs. Les gamins d’aujourd’hui ont-ils la même chance ? »

Le parcours de l’exposition, inédite et ô combien originale, du Musée Mohammed VI d’Art Moderne et Contemporain s’ouvre par «prières ferventes». Un hymne au dialogue des religions, cultures et civilisations. Un plaidoyer pour l’ouverture sur le goût des autres, sur l’autre.  Avec une scénographie époustouflante, une galerie conçue par l’architecte Nigériane-Américaine Anna Abengowe, on baigne dans la chambre noire ! Les images se succèdent.

Le regard, ébloui, les scrute à la recherche de leur sens. Et c’est tout l’univers de Touhami Ennadre qui nous est offert. « Maroc-machines à coudre », Maroc-Marrakech Express », « Maroc, le gosse que j’ai été dans la médina », « Abattoirs/Ay ! Mi Toro ! », « Shanghai-corps de nuit », «Under New York»…Depuis que sa regrettée mère lui avait offert un appareil photo, Touhami tire sur tout ce qui bouge. Grâce à cet appareil, il « photographie son pain » à la différence d’une génération de jeunes de la banlieue parisienne, où il avait atterri à sept ans, qui sombrent dans la drogue et la délinquance.

Révélé aux Rencontres Photographiques Internationales d’Arles, il reçoit le prix de la critique internationale. Depuis, son travail inclassable, est exposé dans les galeries et musées des plus prestigieux à travers le monde. Critiques d’arts, écrivains, poètes et philosophes encensent ses créations dans des articles, catalogues et autres beaux livres. 

L’homme en noir maîtrise le processus de ses créations de la prise de vue, en passant par l’alchimie du labo jusqu’à l’accrochage. Des œuvres uniques qui célèbrent le noir. Le noir de Touhami Ennadre lustré des mains des funérailles de sa maman, des peaux ridées des moines asiatiques, des chairs humaines et animales des abattoirs qu’on dirait du Caravage.

On dit qu’il sculpte le noir et la lumière.  Dans la chambre où sont exposées les œuvres, on a du mal à savoir d’où jaillit la lumière? Des spots ou des œuvres ! Fascinant. Bref, on est en face d’une esthétique personnelle d’une œuvre photographique au-delà de la photo !  

Après une soixantaine d’années d’« exils » et de voyages à travers les quatre coins de la planète, Touhami Ennadre est de retour au bercail. Il retrouve la médina des saveurs enfantines pour y fonder une maison de la photo ouverte aux jeunes des rues étroites. Belle manière de payer sa dette et offrir aux gosses son savoir débrouillard.

Courrez au Musée Mohammed VI de Rabat pour irriguer votre regard du fracas du monde. L’œuvre de Touhami Ennadre célèbre le deuil de l’humanité, la fin, la mort…donc elle célèbre en fin de compte la Vie.

   

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