Après une année d’éclipse, Le Festival des Andalousies Atlantiques d’Essaouira, de retour du jeudi 31 octobre au samedi 2 novembre 2024, a largement tenu ses promesses. Pas moins d’une centaine d’artistes, en provenance de Tanger, Rabat, Essaouira, Séville, Algesiras, Saragosse, Paris et Amsterdam, ont illuminé les espaces et les nuits de la cité bénie. par Mohamed Ameskane
C’est dans un contexte mondial chaotique avec ses interminables conflits, guerres, crises climatiques et identitaires que la 19ème cuvée de l’incontournable et spécifique rendez-vous de Mogador a lieu. Au-delà de la musique, des chants, des débats conviviaux, Essaouira délivre son message, son souffle pour dire et redire que l’avenir ne peut se concevoir en dehors du partage, de la paix, et du vivre ensemble.
Essaouira, depuis des lustres, revendique et ressuscite l’héritage de l’Andalousie mythique. Un intermède dans l’histoire de l’humanité où la symbiose régnait, où les trois religions du Livre coexistaient en harmonie. L’Andalousie des musiciens, des poètes, des libertins, des philosophes à l’instar des Ibn Maimoun, Ibn Rochd, Ibn Baja, Thérèse d’Avila…et autre Mouhieddine Ibn Arabi, dont un fragment de l’un de ses poèmes est devenu la devise d’Essaouira Mogador :
« Mon cœur est devenu capable d’accueillir toute forme.
Il est pâturage pour gazelles et abbaye pour moines !
Il est temple pour idoles et la Ka’ba pour qui en fait le tour.
Il est les tables de la Torah et les feuillets du Coran !
La religion que je professe est celle de l’amour.
Partout où ses montures se tournent,
l’Amour est ma religion et ma foi !
Essaouira, la nouvelle Andalousie ? Ville ouverte, cosmopolite, elle accueille, les bras ouverts, les saltimbanques, les pèlerins et autres errants. A parcourir ses ruelles, à discuter avec ses invités, à écouter la cacophonie des langues, les sons et chants de Dar Souiri, des scènes mais aussi des ruelles, on est saisi et ébloui par une ville-monde. Des atouts qu’on ne retrouve nulle part ailleurs de par le monde ! Si l’Andalousie fut le refuge des persécutés, des exilés à l’époque, Essaouira l’est aujourd’hui. A nous Mogador !
Musique andalouse et flamenco, même combat !
Cette édition a mis le flamenco à l’honneur. Presque toutes les soirées ont programmé des troupes en provenance d’Espagne, se produisant seules ou en fusion avec les musiciens andalous, gnaouis ou autres dans des communions magiques. Comment oublier les soirées avec le maestro, chercheur Omar Mettioui, Leonor Leal, José Mari Bandera, le neveu de Paco de Lucia, Diego Amador et Vicente Gelo. Comment oublier la prestation de Nabila Maan, en compagnie de Carmen Paris dans « Dos medinas blancas », en hommage au poète, musicien et philosophe Ibn Baja ? Comment oublier la collaboration envoutante de Jalal Chekara et du grand chanteur flamenco de renom Vicente Gelo ?
Malgré le poids du passé, les litiges de la géographie, les malentendus occasionnels, le Maroc et l’Espagne restent liés par la proximité du voisinage, une brillante page de l’histoire commune et surtout les
affinités culturelles. Une partie de l’intelligentsia espagnole, des écrivains tels Issac Munoz ou Juan Goytisolo, enterré au Maroc, à Larache à proximité de Jean Genet, des artistes, des cinéastes, des interprètes à l’instar d’Estrella Morente …ne revendiquent-ils pas l’héritage arabo-andalou comme faisant partie de leur histoire, sinon de leur identité ? Personne ne peut nier aujourd’hui que l’Autre fait partie de nous. Qu’une partie d’Espagne vibre dans le cœur des Marocains et que l’héritage arabo-andalou est un affluent de l’histoire et de la culture espagnole. Vivement l’autre fête, celle du sport, du foot et de la Coupe du monde.
Débats et autres sonorités
Le festival, outre les divers concerts, c’est le forum de Dar Souiri, cette année à Bayt Dakira qui porte bien son nom : « l’importance du lieu, l’importance du lien ». Depuis 19 ans, André Azoulay et ses invités ne cessent de répéter la même litanie, le même message, à savoir l’ouverture sur les autres, sur l’Autre. Des discussions libres, sans tabou ni censure, pour dire l’exception marocaine, l’exception souirie. Et c’est dans cet esprit convivial, dans une synagogue que des chants célèbrent le prophète de l’Islam Mohammed. Dalila Meksoub, qui nous a charmés cette année avec un répertoire allant du gharnati, chgouri et autre « Lamouni elli gharou menni » de Hadi Jouioni, avait chanté dans une précédente édition un morceau, écrit par le juif Maâlem Ayuch Souiri, et interprété par le musulman et regretté Ahmed Piro justement en hommage à Sidna Mohammed. Des rabbins ont chanté aussi, il y a quelques années, des louanges en hébreu dans une zaouia, mêlant leurs voix à celles des adeptes du Samaâ et autre madih.
Le Festival, qui célébrera l’année prochaine ses 20 bougies, a vu défiler une infinité de grands noms dont une partie nous a quittés, les Maurice Medioni et autre Hajja Hamdaouia. Les autres, à qui on peut souhaiter bon rétablissement, sont fatigués, Benomar Ziani, Haim Botbol, Haim Look…Mais la relève reste assurée quand on a assisté à cette fabuleuse prestation de la chorale d’Essaouira. De 7 à 77 ans, encadrés par trois maestro, les choristes ont égréné un répertoire éclectique.
Qu’ils soient juifs ou musulmans, des jeunes artistes ont repris le flambeau. Je pense à Neta Elkyam, Sanna Marhati, Françoise Atlan, Asmaa Lamnouyer, Elad Levy, Hicham Dinar…Le judéo-marocain dit Chgouri est entre de bonnes mains. Les Zohra Fassia, « hak a mama, les Samy Elmaghribi, Salim Halali… sont de retour à l’ère d’Amine Boudchar. Un phénomène sociologique époustouflant. A Essaouira, le public reprenait en chœur les inoxydables refrains de la chanson marocaine Dalila Meksoub, Dalal Bernousi, Jalal Chekara, Nabila Maan…et surtout l’infatigable Raymonde Bidaouia qui a clôturé en beauté la fête souirie.
Le Festival des Andalousies Atlantiques démontre, une fois de plus, que la culture est à la fois un instrument de diplomatie et un levier de développement durable. Il démontre que la culture reste la passerelle la plus solide qui unit les peuples notamment marocain et espagnol. Espérons que la 20ème édition 2025 se tiendra dans un monde plus apaisé, plus humaniste. Au prochain festival !