«Limbo» de Ben Sharrock, est un film à la fois nécessaire et percutant. Anglais d’origine syrienne, le réalisateur s’interroge dans son deuxième film sur la place des réfugiés dans la société anglaise, faisant écho à tout ce qui se passe dans le monde. Un film drôle et touchant depuis un centre de réfugiés en Écosse. Poignant.
«Attendre…Attendre…Attendre», une des répliques du film qui explique la situation. Dans le film «Limbo», film qui a reçu le label Cannes 2020 et qui a fait le bonheur du Festival international du film de Toronto au Canada et de San Sébastian en Espagne, des réfugiés fuyant guerres, misères et soucis politiques dans leurs pays, se retrouvent dans un village écossais où ils doivent passer par la case «intégration». Dans un centre de réadaptation, ils subissent les cours de civisme et de citoyenneté non sans sarcasme et ironie, d’un réalisateur qui pointe du doigt le regard pauvre de l’Occident sur les «autres».

En attendant Godot
Ben Sharrock signe un film débordant d’humanité, où il mise sur des acteurs de talent et une écriture aussi libre que fine. Il n’y a pas de bavardage, les mots sont percutants, le temps passe et rien ne se passe. Si ce n’est le souvenir d’un passé arraché, d’une histoire effacée. En effet, le réalisateur rappelle que ces réfugiés ont une histoire et avait une vie dans leur pays, une vie qui leur a été arrachée. “Je me suis mis à interroger les représentations déshumanisantes des réfugiés”, a confié le réalisateur lors du dernier festival en Espagne. Comme la vie d’Omar, personnage principal, centre du film qui donne toute la dimension émotionnelle au film. Campé par le brillant Amir El-Masry, Omar est un musicien connu et reconnu dans son pays. Mais il est bloqué, il ne peut plus jouer de son instrument : le Oud. Il a des flashs d’un concert en Syrie, le dernier visiblement avant la guerre. Il a des secrets, des blessures, mais garde espoir de retrouver la terre promise, d’être accepté en tant que citoyen anglais et de commencer une nouvelle vie. «Pour effectuer une recherche importante et utile, nous devons comprendre les gens qui avaient connu ce système de demande d’asile et aller au-delà de ce qui les caractérisait en tant que réfugiés. Les documentaires, les livres, les essais universitaires et les articles de journaux regorgent de ressources sur le sujet. J’ai épuisé toutes les ressources possibles pendant plus d’un an et j’ai rencontré des migrants qui étaient passés par ce système au Royaume-Uni, mais également des travailleurs d’ONG qui s’occupent des réfugiés au quotidien», a confié le réalisateur en conférence de presse. Comédie attachante malgré le sujet lourd, le réalisateur réussit sa comédie satirique et attachante. Il donne de la place aux personnages, les fait vivre, n’en fait pas des clichés. La caméra les aime et cela se voit, ils sont souvent sublimés par des gros plans qui captent un regard, un sourire en coin, une expression. La caméra de Sharrock est libre et pleine de sensibilité. Il n’y a pas de jugement, juste des faits et des histoires. Des bouts de vies, des instants, des situations drôles, d’autres émouvantes. Le style du réalisateur est authentique même s’il n’est pas sans rappeler la condition humaine de Ken Loach ou l’absurdité de la vie d’Elia Soulaiman. Ben Sharrock, c’est quelque chose en plus. C’est un parfait mélange entre l’humour british et la poésie arabe. Il réussit là le pari de faire rire sur des cours d’«éveil culturel» organisés par Helga et Boris campés par les brillants Sidse Babett-Knudsen et Kenneth Collard, aussi surréalistes qu’hilarants. Des cours sur la galanterie, le harcèlement sexuel, ce qu’il faut faire ou ne pas faire. Et puis il y a les personnages, les amis d’Omar, les âmes égarées aussi comme Farhad, joué par Vikash Bhai, Wasef par Ola Orebiyi et Abedi par Kwabena Ansah, qui sont tout sauf des personnages secondaires ordinaires. Dans ce film, il n’y a pas de petits rôles, il n’y a que de grandes scènes. Un beau moment de cinéma, une leçon humble sur l’humanité dont on devrait tenir compte, un film à plusieurs lectures, à double sens, qu’il est bon de voir et revoir.

