Docteure en sociologie et Directrice de Publication de Marayana.com
Qu’est-ce que l’agression sexuelle filmée à Tanger dit sur notre jeunesse marocaine ?
Cette agression est d’abord le miroir d’une banalisation constante du harcèlement et des agressions sexuelles à l’égard des femmes. En trouvant toujours des excuses aux auteurs de ces actes, on fini par leur faire comprendre que tout est admis et que ce ne sera jamais de leur faute.
J’aimerais aussi préciser que ce n’est pas un problème de frustration sexuelle, car les femmes subissent les interdits autant que les hommes, si ce n’est pas plus. Mais les agressions sont le plus souvent le fait des hommes.
Qu’en est-il aujourd’hui des textes de lois qui condamnent l’agression sexuelle ? Sont-ils réellement appliqués ? Quels sont les moyens de prévention aujourd’hui?
D’abord, l’éducation et la sensibilisation pour espérer obtenir des résultats à moyen et long terme. Mais aussi une exemplarité dans l’application des lois pour donner l’exemple et pour démontrer que ce n’est pas «juste une rigolade entre copains», mais une agression caractérisée punissable.
Comment lutter contre ce fléau intelligemment, quels sont les outils dont nous disposons ?
Comme je le disais : L’éducation et la sensibilisation d’un côté, et l’application stricte des lois de l’autre côté. Porter une jupe ou un jean n’est pas un crime. Agresser celle qui les porte l’est!
Est-ce que le Marocain est conscient de la notion de «harcèlement» et de la frontière avec la «drague» ?
Malheureusement non, et la confusion est présente aussi bien chez les hommes que chez certaines femmes. La notion du consentement également n’est pas claire chez beaucoup d’hommes. Ils traduisent le «non» par : « Il faut insister encore. Elle finira par accepter».
Est- ce toujours un sujet tabou?
Absolument pas. Depuis plusieurs années, on parle plutôt ouvertement des questions de violences sexuelles, libertés sexuelles, harcèlement, etc… aussi bien dans les médias que sur les réseaux sociaux.
La Tangéroise agressée n’a pas porté plainte contre ses agresseurs. Est-ce qu’aujourd’hui encore, la femme est forcément responsable ?
Le processus juridique dans ce type d’affaires est lourd et pénible sur tous les plans (juridique, administratif, psychologique, etc.). Tout le monde n’est pas prêt à militer pour cela en donnant de sa vie personnelle. J’aurais aimé qu’elle porte plainte mais en même temps, et en tant que femme, je comprends aussi la pression de l’entourage, de la famille, des réseaux sociaux. Même très forte, une femme peut être fragilisée face à tant de violence et de pression psychologique.
Comment les femmes peuvent-elles se réapproprier l’espace public ?
En observant l’espace public, et malgré la multiplication des actes d’agression et de harcèlement, je pense que nous sommes en train de vivre un revirement dans le sens inverse. Dans les espaces publics, aussi bien dans les quartiers du centre-ville que dans les quartiers moyens, il y a de plus en plus de liberté dans les mouvements et les vêtements de femmes, de plus en plus de femmes en bikini sur certaines plages publiques où c’était juste inenvisageable il y a 3-4 ans. Tout n’est pas gagné, mais la courbe est en train de s’inverser…