Hicham Lasri, Porno vous dites ? Connais pas !

by Abdelhak Najib

L’année dernière, suite au succès retentissant d’une version piratée du film Much Loved, on a fait une découverte archéologique ahurissante : Au Maroc, on n’a pas de prostitution, on n’a pas d’homosexualité, on a pas de sexe, personne ne se détend devant un bon film de boules, et la procréation se fait par immaculée conception. Le truc Old School quoi !
Donc, s’il est question de parler de cul au bled, il faut savoir que les bébés se font toujours livrer par des cigognes et que c’est mal barré pour ce papier.
Vous avez dit sexe ?
On ne connaît pas ça ici !

Incident insignifiant n°1

   

Lynchage d’un homme considéré comme homosexuel, il est violenté par une foule en colère à Fès.

Cunnilingus
Il y a quelques semaines, je préparais une exposition à partir de mon premier roman graphique, Vaudoo. On devait agrandir une quinzaine de planches pour les accrocher à la galerie La Parallèle. On se rend à Groupe Repro, prestataire de service le plus proche de là où j’habite. Tout s’annonce bien. Mais le lendemain, j’ai la mauvaise surprise de découvrir que les imprimeurs ont censuré une de mes planches. C’est une planche ironique qui représente un cunnilingus. Pourquoi pas. Les esprits puritains, ce n’est pas ce qui manque de ce côté de la frontière. Mais ce qui était révoltant, c’est l’excuse pour laquelle il ont prétendu «ne pas pouvoir » imprimer cette planche. Ils ne peuvent pas car, il y a une publicité sur la page. Comment être dans le déni à ce point ? Même quand j’ai pointé avec mon doigt le cunnilingus, la chargée de clientèle gardait sa contenance en expliquant qu’elle ne peut pas à cause de la publicité (elle ne semblait pas vouloir regarder la scène de sexe qui se déploie sur la page). Pour résumer. Le dialogue de sourd a continué un moment. Je me suis énervé. Je me suis révolté contre la censure des petits agents, des vigiles, des gardiens de parking, des vendeurs à la sauvette devant les mosquées, les cireurs devant les stades, les imams dans leurs cagibis…
J’ai insulté qui je voulais sans que personne ne trouve à redire, mais les gens préfèrent se faire piétiner la dignité et avoir raison dans leur petite tête bien démago, bien conservatrice, bien facho plutôt que de prendre le risque de participer à un acte de création affranchie du joug d’une éthique mal digérée…
Vous avez dit prostitution ?
Ce genre de chose n’existe pas chez nous!

Incident insignifiant n°2
Une simple robe. C’est la tenue que portaient deux femmes qui se sont rendues au souk d’Inezgane, près d’Agadir, où elles ont été encerclées par un groupe de personnes estimant que cet habit est « contraire aux bonnes mœurs ». Alertée, la police judiciaire s’est rapidement rendue sur les lieux, mais pas pour arrêter ceux qui avaient malmené les deux Marocaines, mais bien les jeunes femmes.
Elles ont ensuite comparu devant un tribunal pour « outrage public à la pudeur »! Un crime pour lequel elles encourent « l’emprisonnement d’un mois à deux ans et une amende de 120 à 500 dirhams » selon l’article 483 du Code pénal.

Les siècles parlent à voix basse
Dans Le Bûstan du poète persan Saadi, écrit à l’époque médiévale, il y a une petite histoire – parmi les 57 que compte l’ouvrage – qui explique à quel point il ne suffit plus de fermer les yeux, sa porte ou son cœur pour s’extraire du monde qui nous entoure.
C’est l’histoire N° 5, celle du boulanger :
« Une femme dit à son mari :
– Ne continue pas à aller acheter notre pain chez le voisin, le boulanger. Achète-le désormais au marché de la farine, car ce boulanger est un malhonnête qui nous vend de l’orge au lieu de blé. Depuis une semaine ,on n’a vu chez ce boulanger ni un acheteur, ni une mouche.
Le mari bienveillant et juste répondit :
– Soleil de mes yeux, nous devons nous résigner ! En nous établissant dans notre quartier, ce marchand a compté et compte que nous lui achèterions son pain… nous ne pouvons pas faire autrement »
Ce qui est risible, c’est l’écart qui se creuse entre l’image de « propreté », de respect, et la réalité de notre société tournée férocement vers la facilité, vers les raccourcis, le népotisme, le profit facile et une certaine forme de prostitution mentale. Le rapport au corps, à la pulsion, au plaisir, à la déviance, à l’instinct a été contaminé par le non-dit, c’est une sorte de dessaisissement qui renvoie l’humain au 2ème plan par rapport à la réalité. Comment enlever le sexe de l’équation sociale ? En se cachant les yeux pour faire mine que ça n’existe pas. Exactement comme un enfant qui se cache en masquant les yeux quand il joue à cache-cache… risible.
Porno vous dites ?
Connais pas !

Incident insignifiantn°3
Un imam de Tanger a été condamné à trois mois de prison ferme et une amende de 500 DH par le tribunal de première instance de Tanger, pour avoir eu des relations sexuelles avec un homme dans une mosquée. Le religieux officiait dans la mosquée « Al Aâdam » du quartier de Souk Dakhel de la ville du détroit. L’imam a été interpellé par la brigade des mœurs de la police judiciaire de Tanger, suite à une plainte déposée par un jeune âgé de 23 ans et originaire de Fès, dans laquelle il accuse le responsable religieux de viol. Les deux hommes déferés devant le parquet général en état d’arrestation, ont été poursuivis pour « pratique homosexuelle » et outrage aux mœurs à l’intérieur d’un lieu de culte musulman. La victime a écopé de la même peine de prison, soit trois mois fermes.

Depuis quelques années, je vis au milieu de mes coreligionnaires et accessoirement concitoyens, et j’ai l’impression de voir l’écart se creuser, l’écart entre nous et nous-mêmes. Entre l’image qu’on a de nous-mêmes et notre réalité. C’est le décalage entre le discours dominant, le prisme de conservatisme ambiant, les ayatollahs de l’identité arabe, les Djihad Joes et, de l’autre côté, les statistiques terribles de fréquentation des sites pornographiques, la prostitution, les agressions à caractère sexuel qui m’ont interpellé, pour cette sorte de mascarade sociale masochiste et ironique qui se joue chaque jour dans notre société et qui trouve son origine dans un sentiment d’écœurement généralisé. Je ne connais que des mecs qui veulent baiser à tout va, je ne connais que des mecs qui veulent épouser des vierges. Généralement, c’est le même genre de mec qui peut baiser tout ce qui bouge et porte des talons. Dans cette jungle urbaine, les femmes aussi se débrouillent comme il faut pour garder leur virginité, leur voile sans renoncer à la jouissance. Il suffit de jouer au voyeur du côté des remparts de la mosquée Hassan II pendant les marées basses, où fleurissent des couples d’amoureux qui jouent à touche-pipi – sans trop se cacher – alors que la plupart des filles sont voilées.
Se soulager, vous avez dit ?
On ne fait ça que dans les toilettes !
La schizophrénie est devenue un refrain risible. La langue de bois est devenue la 2ème langue officielle après l’arabe, qui est la langue du Coran. Comment lever le bras pour exprimer notre désaccord, sans être dans la démagogie, sans user de langue de bois, sans faire dans la « démocratie pour spectateur » pour paraphraser Noam Chomsky ?
Et mon cul c’est du poulet !
Le poulet, ça on a !

Conclusion insignifiante
Depuis que Facebook a écrasé le totalitarisme dans les pays arabes permettant l’avènement du djihadisme comme idéologie populiste et marché croissant de l’emploi kamikaze rémunéré pour les déclassés et les esprits faibles, sous la houlette d’une nouvelle start-up en plein essor nommée Daech, l’hypocrisie est ce qui définit le plus notre nation. Donc, non monsieur, pas de sexe. C’est sale.

   

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