Ibn Ârâbi (1165-1240) : l’Amour à la lisière de l’ivresse

by Abdelhak Najib

Le penseur mystique ouvre la « voie de l’amour » à l’intérieur des chemins enchevêtrés de la tradition musulmane. On n’est nullement surpris de lire une telle expérience « amoureuse » vécue sous le signe du sacré: « Par Dieu, j’éprouve de l’amour à un point tel que, me semble-t-il, les cieux se disloqueraient, les étoiles s’affaisseraient, les montagnes s’ébranleraient si je leur en confiais la charge ». Un cri émis d’une âme embrasée qui structure toute la doctrine hagiologique d’Ibn Ârâbi et son itinéraire spirituel. Même le cosmos ne pourrait assumer un tel amour « consolidé par Dieu ». Un amour dont il est à la fois le dominant et le dominé, le mal et son remède, ivre et sobre.

Le maître andalou s’est exprimé, à maintes reprises, sur le thème de l’amour qui oscille entre l’ivresse et la sobriété pour que le vin mystique triomphe, car le summum du spirituel est de conjuguer les deux tout en réalisant l’Equilibre, le juste milieu, l’amour à son statut suprême. Un soufi qui clame cette flamme qui le consume, celle de Hawâ (l’amour passion ). Ceci dit, l’écueil auquel se heurte la logique mystique reste incontestablement linguistique : l’effacement de la langue, la retraite du langage devant l’énormité ineffable de ce Désir de Dieu. L’expérience d’Ibn Ârâbi relève effectivement de l’indicible. D’où le recours à l’image et à la métaphore. Une fièvre d’aimer, un amoureux esclave et un sanctuaire affectif. Un tel amour est-il légitime quand il est adressé au Tout-Puissant ?

   

Ceci n’est pas une question rhétorique! Cet amour a été vu comme un sacrilège et une hérésie . Or Ibn Ârâbi, en fin connaisseur du texte religieux, affronte ces dénonciations en faisait référence aux énoncés divins qui attribuent l’acte d’aimer autant à Dieu qu’à l’Homme. Ce « grammairien de l’ésotérisme » représente une rencontre amoureuse entre l’Orient et l’Occident dans une synesthésie soufie où le Coran se mêle aux évangiles et à la Torah en faisant fi des conflits politiques et polémiques sectaires de l’époque.

   

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