La grande star déballe tout et parle de la prison, des moments durs, de la peur, de la musique, du soutien de ses parents, des doutes et de l’enfer carcéral. Saâd Lamjarred fait le bilan d’une période difficile et se projette déjà dans le futur en misant tout sur la création, le travail, l’introspection et une nouvelle philosophie de vie.
On sait que vous êtes très proche de vos parents, parlez-nous de vos rapports avec eux ?
C’est toute ma vie. Je dois tout à ma mère et mon père. Ils ont tout fait dans ma vie. Ils m’ont élevé dans le respect de beaucoup de valeurs. J’ai appris avec eux ce qu’est le travail, le sérieux, la détermination, la patience. Et surtout l’humilité et la générosité. Je me souviens très bien de mon enfance à Rabat. Mes parents ont toujours été entourés de leurs amis et de leurs proches. Une ambiance de joie et de partage. Nous étions heureux d’avoir ce que nous avions. Sans jamais vouloir plus. J’ai appris avec mes parents le sens de « Al Hamdullah ». Travailler dur pour avoir les choses et se contenter de ce que la vie et le bon Dieu nous donne. Ce sont là des leçons qui m’ont beaucoup aidé dans les moments les plus durs de ma vie. Nous avons toujours été proches et mes parents aujourd’hui sont mes meilleurs amis. Et mon plus grand soutien.
Vous avez eu besoin de ce soutien pour supporter l’incarcération…
Sans mes parents, je ne crois pas que je serais là à vous parler de ma vie. Ils n’ont pas raté une seule visite pour me soutenir, me porter et me donner de la force et du courage pour tenir le coup. Tous les jours durant des mois, sans relâche, ma mère et mon père étaient là, avec moi, à me parler, me donner des conseils, me consoler, me remplir d’énergie quand je baissais les bras.
Après une visite à la prison, leur départ était une déchirure…
Ce sont là les pires moments de cette terrible expérience. Après la visite et leur départ, je rentrais en cellule, et là, c’est le vide absolu. Une immense solitude que personne ne peut décrire. C’est la mort certaine. Je me sentais étouffé, tomber au plus bas, sans le moindre recours. On n’a aucune idée sur ce type de sentiments si on ne les a pas vécus jusqu’au bout, dans leur écrasante douleur. C’est le désespoir le plus lourd.
Tu as dû craquer plus d’une fois ?
Bien sûr. J’ai craqué … souvent. J’ai été seul, entre quatre murs, sans amis, sans famille, sans proches, seul et désespéré ne sachant pas quand ce cauchemar allait finir. Croyez-moi que dans des moments aussi terribles, on a des idées horribles. Mais c’est là que j’ai eu le soutien de Dieu et je le remercie à chaque instant de m’avoir donné la force de supporter jusqu’à ma sortie.
Comment ça se passait à l’intérieur de la prison ?
Dur. Difficile. J’étais dans une cellule individuelle pour des raisons de sécurité. Je suis un chanteur connu et célèbre, l’information a vite fait le tour de la prison. Il y a ceux qui m’en voulaient sans me connaître et ceux qui voulaient m’approcher pour une raison ou une autre. Moi, je vivais un cauchemar. Je ne savais pas où j’étais. La prison est un autre univers, avec ses codes et ses règles. Et moi je ne connaissais rien à cet univers infernal. J’ai décuplé de vigilance. J’ai fait attention à chaque moment. Je ne vivais pas, j’essayais juste de survivre et de garder toute ma tête en attendant de sortir de cet enfer. En prison, tu dois oublier ta vie dehors et essayer de t’adapter à d’autres règles et d’autres relations humaines. Ce n’est pas évident. Et c’est d’autant plus invivable quand on est connu.
Comment tu as pu tenir le coup ?
D’abord le soutien de ma famille. Mes parents m’ont beaucoup aidé. Puis le soutien de tous mes fans, toutes ces personnes qui ont prié pour moi et qui m’ont porté pour que je tienne le coup.
Ensuite, il y a la musique.Je devais à tout prix ne pas abandonner ma musique. Elle vivait en moi. Je devais m’y accrocher pour composer, écrire, chanter. Et j’ai travaillé dur. Je me suis débrouillé à l’intérieur pour avoir la possibilité d’écrire et de composer. Je devais vivre avec l’espoir de sortir et de chanter encore et encore pour moi, pour ceux que j’aime et qui m’aiment. Je dois ma vie à la musique.
Tu as pensé au suicide en prison ?
Pour être franc avec vous, Oui. C’est un enfer d’être enfermé. J’ai eu de grands moments de peur et de doute. C’est normal de penser à en finir comme tout le monde. Mais j’ai tenu et je suis très heureux d’avoir trouvé la force dans la foi et dans l’amour des miens pour aller au bout du bout de moi même. Après cette expérience, je suis un autre homme. Je suis transformé. C’est une épreuve indescriptible qui vous change. D’où on sort meilleur ou on sombre définitivement.
Aujourd’hui, tu es dehors et la juge vient de t’enlever le bracelet électronique…
C’est un excellent point dans la suite de cette affaire. Je suis libre et aujourd’hui, je n’ai plus de bracelet électronique. Cela veut dire que les choses commencent à rentrer dans l’ordre. Pour moi, c’est une nouvelle vie qui s’offre à moi. Je ne sais pas encore quel dénouement aura cette histoire, et vous savez, je ne peux pas parler pour laisser la justice faire son travail en toute sérénité.
C’est le début de la fin ?
C’est le début de quelque chose d’autre dans ma vie. La justice fait très bien son travail et j’ai confiance en elle. Mes avocats font un excellent travail et je reste confiant dans l’avenir. Après ce que j’ai vécu et enduré, ma vie a changé de bout en bout.
Ton dernier morceau «Let Go» bat tous les records sur le Net (90 millions de vues). Le scandale a du bon ?
(Rires) Je n’imaginais pas un tel succès, mais l’affaire y est pour beaucoup, c’est sûr. Puis les gens ont vite fait le rapprochement avec mon passage en prison. Let Go sonne comme le cri de quelqu’un qui veut prendre un nouveau départ. C’est dans la lignée de ce que je vis en ce moment. Mais le morceau a été fait bien avant avec d’autres arrangements, une autre écriture musicale. Ce passage par la prison m’a donné la force d’en faire une chanson forte, qui touche les gens au plus profond. Encore une fois, c’est la musique qui me sauve.
Parlons un peu de ton enfance ?
C’était une belle enfance. Des moments magiques à Rabat avec mes parents. Une vie au sein d’une famille d’artistes. Mon père chanteur. Ma mère comédienne. Une maison toujours pleine. Beaucoup de joie et de bonheur. Beaucoup d’amour aussi. Mon père était plus Easy Going. Ma mère plus regardante sur les choses. Cet équilibre était très important pour moi. J’ai eu de magnifiques amis. Et il m’arrive quand je suis au Maroc d’aller à Rabat dans mon ancien quartier au centre-ville, pour m’imprégner des odeurs du passé. J’aime revivre le passé, sentir cette nostalgie des anciens jours.
Un souvenir en particulier dans ce quartier ?
Oui, tout à fait. Il y en a un qui m’a marqué. C’était devant le vendeur de pépites (Moul Zerri3a) qui existe toujours mais qui a changé de proprio. Il y avait un policier à côté, je me suis aventuré à lui toucher son pistolet. Il m’a donné la gifle de ma vie. Je n’oublierai jamais cet épisode. J’ai eu très mal et ça m’a servi de leçon… (rires).
Puis il y a eu ce départ à New York ?
Absolument. Je suis parti à l’âge de 17 ans. Je débarque dans la région de New York chez une amie de la famille. Premier jour d’école, premier choc. J’arrive au bahut, branle-bas de combat. Je ne parlais pas un traitre mot d’anglais. Je ne savais pas ce qui se passait, mais j’avais compris que c’était très grave. De retour à la maison, on m’a expliqué que c’étaient les attaques du 11 septembre. Les Twin Towers qui se sont effondrées passaient en boucle à l’écran. J’ai été choqué et saisi par l’ampleur de ce que je voyais à la télévision. Premier jour, un drame national. Welcome to America…
Tu as dû aussi te débrouiller pour vivre ?
Et comment! Les choses n’ont pas été faciles du tout. J’ai dû bouger pour habiter un peu partout à new York : Queens, Bronx, Brooklyn, Manhattan… j’ai roulé ma bosse du mieux que j’ai pu. J’ai eu des passages à vide. Et j’ai travaillé là où j’ai pu pour survivre.
Quoi comme boulots?
J’ai été maçon. J’ai bossé dans le bâtiment et c’était très instructif. J’ai appris ce qu’était la vie dure de ceux qui suent pour mettre à manger sur la table. La meilleure école de la vie est d’être confronté à ce type de situations où il faut se débrouiller. J’ai aussi travaillé dans des restos. J’ai dû faire tout ce qui était possible pour trouver où loger, manger et tenir le coup. Mais j’ai toujours su que la musique allait me donner un ticket de sortie pour une autre vie.
Tu as commencé comme chanteur dans de petits locaux, c’est ça ?
C’est vrai. Je chantais là où je pouvais. J’ai chanté du Khaled que j’aime beaucoup et les gens trouvaient que j’étais bon. De fil en aiguille, j’ai eu plus de clients pour chanter dans des mariages, des anniversaires, des Bar Mitzvah. Les choses ont commencé à changer pour moi. Je gagnais un peu mieux ma vie avec la chanson, mais je voulais autre chose. J’aurais pu me contenter de ce que le succès que je connaissais déjà m’apportait et en vivre très bien. Mais j’avais d’autres ambitions.
Devenir une star planétaire ?
Pas forcément. Mais être chanteur surtout. Avoir ma carrière telle que je la rêvais depuis mon enfance. Parce que même gosse, je savais que la musique était toute ma vie. D’ailleurs, l’un de mes plus grands souvenirs, c’est le jour où j’ai chanté devant mon père pour Studio 5, à 2M. Un moment décisif dans ma vie puisque j’ai vu dans le regard de mon père cette lumière qui me disait « oui, tu peux créer ta voie de chanteur et voler de tes propres ailes ». j’ai toujours voulu vivre de ma musique, composer, écrire, collaborer avec d’autres pour apporter mon style et ma manière de voir et de vivre la chanson.
Et tu te lances dans ce concours Super Star, au Liban, en 2007 ?
Avec des hauts et des bas, il faut le dire. J’ai dû le rater la première fois puisque je ne pouvais pas le faire, mais deux ans, plus tard, j’y étais et je voulais à tous prix aller au bout.
En plus tu y as vécu de drôles de moments…
Tu fais allusion au fait que je n’arrivais pas à mémoriser toutes les paroles des chansons que j’interprétais (rires). C’est vrai, j’ai le tempo, le rythme, la voix, ma manière à moi de vivre la chanson, mais à un moment, trou noir, plus de mémoire. Je perds le fil. Pourtant le jury me repêche et me donne une autre chance dans le tour suivant. Et là encore, je chante bien, j’emballe le jury, mais trou noir encore une fois. Un cauchemar, mais j’ai tenu bon et le jury a voté mon passage pour la carré final. Une expérience unique. Je crois avoir montré à tout le monde ce dont j’étais capable il y a déjà dix ans. J’étais jeune, j’avais à peine 22 ans. Ce n’était pas évident. Mais je voulais y arriver. C’est la première véritable porte qui m’a été ouverte.
La suite, c’est un tube en 2012 ?
Ah oui, je sors une chanson qui passe très bien et que les gens ont très vite adoptée. C’est fou comme le succès peut décoller d’un instant à l’autre. «L’Mima» et «Salina Salina» ont été deux grands succès et là je savais que c’était lancé. Ensuite il y a eu «Mal 7bibi Malo» et «Nti Baghya Wa7ed» en 2014.
Et après il y a eu «Lma3alem» et aujourd’hui «Let Go» qui cartonne.
Un immense succès, oui c’est vrai. Je me dis que c’est justement sur ce succès que je dois construire ma vie aujourd’hui. C’est que du positif après ce que je viens de traverser. C’est un nouveau départ sur lequel je me base pour tourner une page, en lire chaque mot, ne rien oublier, mais surtout rester focalisé sur ma musique. C’est une nouvelle vie qui s’offre à moi. J’en prends pleine conscience.
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