Relais Prison–Sociétés : le plaidoyer de Walid Cherqaoui

by La Rédaction

L’association Relais Prison- Sociétés œuvre tous les jours pour réinsérer les prisonniers dans la société, pour éviter la récidive. Un parcours du combattant que nous raconte Walid Cherqaoui.   

La Genèse

   

Relais Prison-Société (RPS), association indépendante et non gouvernementale, a été fondée en 2005) par Fatna El Bouih et Youssef Madad, deux experts de la société civile eux-mêmes membres fondateurs de l’Observatoire Marocain des Prisons créé en 1999. Après avoir passé des années à sortir des rapports annuels sur la situation des établissements pénitentiaires marocains – situation qui ne s’est que très peu améliorée -,
El Bouih et Madad ont clairement senti le besoin de lutter contre la récidive et ce, à travers la réhabilitation juridique et l’aide à la réinsertion professionnelle des sortants de prison. C’est dans cette optique que l’association mène, en amont, des actions de plaidoyer et de réseautage pour sensibiliser, dynamiser et capitaliser l’apport de la société civile à la réinsertion professionnelle dans une société inclusive, solidaire et engagée dans le processus de la réforme et de la citoyenneté, et dans le cadre d’un réseau de structures/relais orientées vers la réinsertion des wsortant(e)s de prison. En aval, l’association tient des séances permanentes d’accueil et de conseil au profit des ex-détenu(e)s pour les orienter et les assister pour une meilleure intégration dans la société, et assure un accompagnement individuel aux ex-détenu(e)s dans l’élaboration et la réalisation de leurs projets de réinsertion.


Clôture de projet mené avec MEPI. Une mère câlinant son fils ex-détenu après avoir obtenu le certificat de formation suivie avec Relais.

Prison-société : préparation à la sortie de prison

« Dans les établissements pénitentiaires, nous assurons des activités de préparation à la sortie de prison. Dans ce sens, nous chapeautons des ateliers d’art-thérapie, de lecture, de photographie, nous sommes partenaires du Festival du film à Oukacha, etc. Mais le plus difficile dans l’expérience carcérale, ce n’est pas tant le « séjour » carcéral que la sortie de prison, la libération. Les liens d’un ex-détenu avec l’Administration pénitentiaire se rompent complètement dès qu’il franchit le seuil de la prison. Alors se pose la question : qui est censé prendre le relais ? ». Si ce travail de préparation à la réinsertion entrepris en prison ne trouve pas de relais pour accompagner le sortant de prison, pour affronter les différents aléas, le risque de récidive prend alors des proportions alarmantes. C’est dans ce sens, que le travail post-carcéral, constitué de structures d’accueil et d’accompagnement prend, à ce niveau-là, tout son fondement. La réinsertion post-carcérale reste le moyen le plus efficace pour lutter contre la récidive en permettant aux ex-détenus de vivre en conformité avec les normes et les valeurs sociales, et de subvenir adéquatement à leurs besoins. Une véritable politique de la réinsertion des sortants de prison passe par la modernisation et l’humanisation du système carcéral, se consolide par le déploiement d’actions et de dispositifs de préparation à la sortie, et se relaye par un travail post carcéral à travers des structures/relais orientés vers l’insertion socio-économique des ex-détenu(e)s.

La législation au Maroc : entre réintégration pour tous ou justice punitive

« Nous faisons du plaidoyer. Je pense notamment, à la situation des mineurs en conflit avec la loi qui est qualifiée de lamentable par la DGAPR et le CNDH ». Sur la base de l’article 40 de la Convention des droits de l’enfant qui stipule que « tout enfant en conflit avec la loi a le droit d’être traité d’une manière qui tienne compte de l’opportunité de promouvoir sa réintégration, et aussi d’assumer un rôle constructif dans la société », Relais a présenté un mémorandum visant la création d’une institution indépendante ne s’occupant que des mineurs en conflit avec la loi afin de prévenir efficacement la délinquance, tout en misant sur une approche éducative pour accompagner cette population et en prenant en compte leurs besoins sociaux et psychologiques – parce qu’il y a tendance à ne pas les intégrer dans l’équation- avant de déboucher sur une poursuite pénale. Relais ne se situe donc clairement pas dans la forme actuelle de la justice au Maroc, c’est-à-dire la justice punitive.

Réinsertion  professionnelle 

La prise en charge des bénéficiaires passe par les étapes de l’accueil qui permet de cerner les besoins qui peuvent varier de la réhabilitation juridique, recherche d’emploi, la formation, ou la consolidation de maitrise de compétences. Ce n’est que passée cette étape d’écoute des bénéficiaires que s’ensuit, celle du traçage conjoint du parcours de la réinsertion qui s’accomplit dans le processus du suivi et de l’accompagnement individuel pour la réalisation du projet convenu. « Parallèlement, une prospection sur les opportunités d’emploi ou stages est menée avec lui auprès de notre réseau d’entreprises partenaires, des Agences de l’emploi et des organismes de formation. Telle est la trajectoire des ex-détenus que nous accompagnons. Rien qu’entre 2018 et 2020, ce sont 345 usagers du service d’insertion professionnelle que nous avons accompagnés, 312 offres d’emploi que nous avons gérées, 70 insertions que nous avons assurées et 5 conventions que nous avons signées avec des entreprises ».


Clôture des ateliers de formation sur l’art de la broderie au profit d’un groupe de femmes ex- détenues du quartier Hay Mohammadi.

Tout un challenge…

Dans notre société, où les juges sont portés excessivement sur les sanctions de la privation de liberté, même pour les petits délits, l’absence de mécanismes de probation, ainsi que les peines de substitution ou les peines alternatives comme le travail d’intérêt général, constitue un obstacle pour le déploiement d’une politique pénale en milieu ouvert et d’un contrôle judiciaire socio-éducatif, avec tout ce que cela implique comme chantiers extérieurs, médiation et conciliation et autres. Pour faire un peu d’histoire, les autorités compétentes n’ont pu encore élaborer une conception précise et systématique du processus de la réinsertion. 

Il était une fois…

A la fin des années 90, l’Administration pénitentiaire avait entamé en collaboration avec quelques départements ministériels et des composantes de la société civile, la création d’une entité spécialisée dans l’assistance postpénale, mais le projet fut abandonné peu après. Ensuite, une unité d’assistance post pénale a été créée au centre de réforme et d’éducation de Casablanca. Faute d’effectifs suffisants en nombre et en encadrement, elle ne remplit aucun rôle dans ce domaine. Avec la création de la Fondation Mohammed VI pour la réinsertion des détenus, l’espoir renaissait. Ses grands efforts visant, avec le concours de l’Office de la formation professionnelle et de la promotion du travail (OFPPT), à combler les lacunes en matière de formation au sein des prisons sont considérables et constituent un apport palliatif en ces termes. Sauf que cette contribution absorbe la majeure partie de l’apport de la Fondation Mohammed IV pour la réinsertion des détenus, et l’accroissement de la récidive démontre que ses efforts entrepris en amont, lors de la phase de la privation de liberté, sont loin d’être capitalisés en aval : le prisonnier ayant purgé sa peine, se trouve seul face aux défis de la réconciliation avec son environnement social du fait de l’absence de structures d’accueil. Et c’est ce qui conduit à augmenter le risque de récidives, aggravé par l’absence de structures d’accueil et d’accompagnement au profit des sortants de prison. La période de privation de liberté ne peut provoquer d’effets de réinsertion que si elle est l’aboutissement d’un processus qui s’est déroulé dans des conditions satisfaisantes, et qui a pour point de départ la mobilisation de la personne détenue qui reste un facteur déterminant dans le processus de la préparation à la réinsertion (on ne peut pas réinsérer quelqu’un malgré lui, sachant l’effet négatif de l’exclusion qui, paradoxalement, déresponsabilise par la prise en charge de la personne). Par ailleurs, la double peine, autrement dit le regard de la société, qui se manifeste par un étiquetage permanent de l’ex-taulard, l’empêche de poursuivre les activités ordinaires de la vie quotidienne, et ces difficultés mêmes l’incitent à dévier de nouveau. En parlant d’emploi, c’est une véritable gageure que de trouver un emploi quand on a un casier judiciaire, et celui qui se trouve dans cette situation est acculé à exercer un métier illégal, à voler, etc.

Cette incitation à la déviance, c’est l’État qui en est responsable. Car, pour avoir son certificat de réhabilitation juridique, deux solutions s’offrent à l’ex-détenu (pour simplifier les choses, nous n’allons pas entrer en détail dans le Code de procédure pénale) : ou bien qu’il attende 5 ans et 1 jour pour déposer son dossier et obtenir son certificat de plein droit, ou bien qu’il attende 3 ans et 1 mois pour qu’il l’obtienne après moult investigations des autorités de l’État. Ces délais d’attente sont difficiles à supporter, surtout que le certificat de réhabilitation juridique n’est pas obtenu automatiquement par l’ex-détenu. C’est lui-même qui doit enclencher la procédure et constituer son dossier. A Relais, nous nous battons depuis des années pour modifier le Code de procédure pénale :
nous avons soumis tant de mémorandums, nous avons sollicité tant de fois les parlementaires, mais en vain. La volonté politique n’est pas au rendez-vous, notamment au sein des partis politiques toutes tendances confondues : partis de gauche, de droite, administratifs et islamistes. Tous sont dans une logique punitive d’autant plus qu’à leurs yeux, nous défendons l’indéfendable. 


Formation à la prison Ain-Sebaa au profit des surveillantes pénitentiaires.

Vos projets ?

Afin de permettre aux femmes et mineures en situation de conflit avec la justice d’accéder à leurs droits et de bénéficier d’un traitement qui prend leurs besoins spécifiques en considération dans le cadre d’une approche genre, nous menons le projet sur la prise en compte de l’approche genre dans les centres de protection de l’enfance, en partenariat avec l’ambassade des Pays-Bas au Maroc. Cette étude entend lever le voile sur les conditions engendrées par l’absence d’une telle approche et faire des recommandations pour pallier ses indifférences à la lumière du référentiel des textes fondamentaux en la matière. Le projet compte également mener des actions de mises à niveau du corps encadrant, informer les personnes concernées de leurs droits et plaidoyer pour une législation et des mesures institutionnelles consacrant l’approche genre dans le système pénal et pénitentiaire marocain. Enfin, le projet entend investir des actions de soutien psychologique et juridique à des groupes de femmes et mineures victimes de violences basées sur le genre et les accompagner dans des projets individualisés, jusqu’à l’ancrage par l’insertion réussie dans leur environnement social. Avec notre partenaire Open Society Fondation, nous axons notre stratégie sur la politique pénale juvénile. Ce projet rentre également dans le cadre d’une campagne menée à l’échelle du continent africain dans le cadre de la dépénalisation des délits mineurs en Afrique. Les élections de 2021 constituent une bonne occasion pour lancer une campagne mobilisant les parlementaires, ainsi que l’opinion publique sur la situation des mineurs et la nécessité de proposer et de voter de nouvelles lois, allant dans le sens des peines alternatives à la privation de liberté. L’argumentaire sur la dépénalisation fera sans doute grincer des dents.


Atelier d’art-thérapie au sièged de Relais.

   

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