Pour son premier roman, Abigail Assor écrit sur la ville de ses origines : Casablanca. Jeune auteure sensorielle, elle dépeint une société marocaine des années 90 à plusieurs vitesse dans » Aussi Riche que le Roi » . Une écrivaine est née et elle est marocaine…
Comment est né Aussi riche que le Roi ?
J’ai construit cette histoire pour illustrer la violence sociale au Maroc. La fiction peut être plus éloquente que la dénonciation frontale : elle est le lieu qui permet d’appréhender le monde de la façon la plus immédiate.
L’intrigue se passe dans les années 1990, une période que vous n’avez pas connue ou connue trop jeune. Pourquoi les années 1990 ?
Je trouvais que l’histoire trouvait mieux sa place sous la pesanteur des années de plomb et je tenais à rendre hommage aux Carrières Centrales, qui ont été le berceau de résistances pendant le protectorat français et qui n’existent plus aujourd’hui. Les années 1990, ce sont aussi celles que j’ai connues enfant, et dont j’ai les souvenirs les plus vifs. J’ai pris beaucoup de plaisir à me remémorer les objets de l’époque, comme les walkmans, les télévisions gigantesques, les premiers téléphones fixe…
Casablanca est un des personnages de votre roman. Était-ce une évidence pour vous que votre premier roman se passe dans la ville blanche ?
Non, ce n’était pas une évidence :
je dirais même que pendant longtemps, j’ai tourné autour du sujet sans oser me lancer ! Finalement, j’ai pris conscience qu’il était important pour moi de mettre des mots sur les réalités sociales que j’ai connues, surtout dans un pays où les mots ne sont pas anodins et où bien souvent, ils nous libèrent. Je n’en ai pas fini avec le Maroc :
c’est un pays d’une grande richesse que j’aime explorer par l’écriture. En l’écrivant, je le comprends mieux.
Sarah, votre personnage, semble vouloir réparer un ascenseur social qui est en panne au Maroc. Comment dépeindre une histoire sur les inégalités sociales sans tomber dans les clichés ?
Je me fixe une règle dans l’écriture : montrer, mais ne jamais expliquer. C’est quand le roman cherche à démontrer quelque chose qu’il s’éloigne de la fiction et qu’il risque de tomber dans le cliché. Je cherche à décrire, sans jamais sortir du point de vue de mes personnages, et en prenant en compte leurs ressources psychologiques et émotionnelles, pour que leurs actions puissent parler d’elles-mêmes. Lorsqu’on reste proche de son histoire, on touche au vraisemblable, à la sincérité.
Vous semblez être une écrivaine sensorielle. Tout est goût, toucher, sensations, émotions. Comment donnez-vous une dimension aux mots ?
Je travaille beaucoup par images. En écrivant un mot, je m’attache aux images qu’il m’évoque, j’essaie d’entrer en immersion : le mot livre, par exemple, m’évoque la poussière, le papier jauni, mais aussi le parfum de l’amande et celui de l’eau-de-vie. J’essaie de faire le tri entre ces sensations et de trouver le terme le plus juste pour ma description.
Les yeux semblent être pour vous les miroirs de l’âme plus que pour n’importe qui d’autre. Les yeux sont omniprésents : d’ailleurs pour évoquer Driss, vous parlez des « yeux de thym ». Pourquoi ?
Les yeux sont le miroir de l’âme !
Ils trahissent tout, même ce qu’on veut cacher, et au Maroc, on veut parfois cacher beaucoup de choses. Parler des yeux, c’est aussi une manière de dire que la vérité se trouve toujours là, quelque part, si on veut bien la regarder en face.
Y a-t-il un lien entre Sarah et votre histoire personnelle ?
Ma personnalité et celle de Sarah sont très éloignées, voire opposées. Je lui envie son énergie, son insolence. Elle m’a été inspirée par plusieurs jeunes femmes que j’ai pu côtoyer, notamment pendant mon adolescence. C’est dans le personnage de Driss que j’ai mis le plus de moi : nous partageons une sensibilité, un certain décalage par rapport au monde autour.
Comment se construit un personnage ?
Il y a un travail d’empathie à faire :
se plonger dans la personnalité d’un autre, comprendre ses mécanismes de pensée. Comme au théâtre, que j’ai beaucoup pratiqué, le costume aide : je commence toujours en élaborant une description physique claire, une manière de se tenir, de bouger, de parler. C’est ensuite que je plonge au cœur de la personne, et que j’en tire les traits les plus éloquents.
Mettez-vous du temps à écrire ? Avez-vous un rituel de création ?
Je suis méticuleuse dans l’écriture, je me relis, je rature, je réécris : je cherche à trouver l’exactitude, la justesse. Par conséquent, le travail d’écriture chez moi est très lent. Je n’ai pas de rituel particulier si ce n’est d’écrire chaque jour.
Comment est née votre envie de devenir écrivaine ?
Ça a toujours été là, quelque part, en moi. Utiliser les mots, inventer des histoires, c’est pour moi la mise en acte suprême de la liberté.
Qui sont les auteurs qui ont compté pour vous ?
Alessandro Baricco m’a beaucoup marquée dans son approche joueuse de l’écriture. On sent qu’il s’amuse, tout en restant très exigeant. En ce qui concerne le style, j’ai une grande admiration pour des auteurs comme Maurice Pons, ou même Claude Simon. La précision, le sens du détail, et surtout la discrétion de ces auteurs qui s’effacent au profit de l’histoire sont pour moi une grande source d’inspiration.