Tête bien faite et mimiques toujours prêtes, The Tberguig est cette humoriste avant gardiste qui fait bon escient de son art sur les réseaux sociaux. Depuis quelques années, sa communauté toujours de plus en plus grande, suit ses personnages naitre et renaître de Jad le dragueur invétéré, à Sanaa la séductrice nonchalante, jusqu’à Anouar le romantique amoureux des plantes ou encore Abdellah le réalisateur colérique. C’est dans la maison de ses parents à Casablanca, que Asmaa El Arabi accueille l’équipe de VH, dans la joie et la bonne humeur. Détendue à la vie comme à la scène, l’humoriste digitale se dévoile en toute intimité. Coulisses.
Comment a commencé l’aventure The Tberguig ?
C’était durant ma dernière année d’études en France, je commençais déjà à faire des petites vidéos, mais que je partageais avec mes amis. J’écrivais des articles pour la Nouvelle Tribune à l’époque, qui avaient bien pris. On voulait même me créer un blog, le Blog de la stagiaire. Mais j’ai continué à faire mes échanges à l’étranger. Je n’écrivais plus vraiment d’articles mais j’avais une envie de filmer à la place. J’ai commencé à me créer une communauté sur SnapChat. J’avais une page que j’alimentais d’articles et de photos. La vidéo qui a été le début de tout le reste, c’était une vidéo où je ne parlais presque pas, où j’imitais les mimiques des mères. C’était la première fois que je publiais une vidéo. Au fur et à mesure, ça a commencé à être plus écrit, plus long, sur différents formats. Je devais travailler en conseil, en banque à la rentrée. J’ai décidé de refuser cette offre, et je m’excuse auprès de ce patron auprès de qui j’ai démissionné la vieille. J’ai décidé de rester au Maroc. Je ne m’étais justifiée auprès de personne. J’ai pris cette décision de façon spontanée. Je commençais à avoir des premières collaborations, des premiers contrats. J’avais reçu un bel accueil, les personnes respectaient le travail et le format. C’est comme cela que tout a commencé il y a 3 ans et demi…
Comment se professionnalise-t-on justement ?
Ce n’est pas moche à dire, il y a une question d’offre et de demande, mais avec quelque chose de plus beau et de plus sentimental quand le métier est une passion. Le rapport au public est primordial. On est porté par le public et du coup, tout le reste suit. Dans les réseaux sociaux, on a tellement accès à du contenu différent que lorsqu’un contenu fonctionne, c’est qu’il a sa place et qu’il est pertinent. Sinon les gens seraient allés chercher ailleurs. J’ai une petite équipe qui travaille avec moi. J’ai développé une activité de storytelling. A travers le fait de raconter des histoires via l’humour, j’ai voulu raconter des histoires sur d’autres formats, pour d’autres choses.
Vous parliez de format tout à l’heure. Vous réussissez à être pertinente en quelques secondes. Comment cela se travaille ?
Il y a beaucoup de travail en amont. Déjà au niveau du travail d’écriture et de jeu, je répète beaucoup avant d’avoir la bonne sincérité. Faire et refaire, c’est attendre le moment où on va être le plus spontané et le plus dans son personnage possible. Cela prend énormément d’énergie. Il faut beaucoup d’honnêteté aussi. Il faut se laisser de côté. Si on est moche en faisant ce personnage, il faut l’accepter. Ce n’est pas moi que ça regarde, cela regarde le personnage. Si on ne partage pas les vues et les avis de ce personnage, c’est pareil. Il faut du temps et de l’implication. Et puis il s’agit de se renouveler. Ce n’est pas facile de se renouveler. Soit l’on opte pour le vertical, on prend des personnages et on les emmène plus loin. Soit horizontalement, on fait le tour des classes sociales et des différents milieux. Mais même avec tout cela, on peut s’épuiser. Il est important d’aller chercher ailleurs, même dans d’autres sociétés, dans l’actualité. Comme le personnage de Jad (Elle devient Jad), qui t’aurait sûrement susurré des mots doux pendant l’interview, j’ai envie qu’il existe vraiment ! Je lui crée une vie, un réseau dédié. J’aimerais le voir vivre seul, sans moi. Avec ses mocassins en daim rouge qu’il porte évidemment, sans chaussettes, je ne te raconte pas l’odeur ! (Rires). Son gel, ses sorties, ses conversations WhatsApp, les appels manqués de quelques filles. Bref, toute sa vie. Sa voiture. J’aimerais vraiment aller plus loin. C’est mon challenge. Aller plus loin dans le fait d’incarner le personnage. On commence sur du virtuel temporaire, après on va aller sur du virtuel où l’on voit de plus en plus le personnage, ensuite le personnage peut prendre la parole sur ses réseaux à lui dédier, puis pour aller vers un film ou un jour dans la semaine, où je ne suis que ce personnage-là.
On sent beaucoup d’amour pour ces personnages. Où allez-vous les chercher et surtout comment les faire vivre sans tomber dans le cliché ?
Il ne faut pas mettre de distance entre soi et le personnage. Ou la personnalité que l’on incarne. On est tous humains, on est tous imparfaits, on est le résultat de notre milieu. Au delà d’être le résultat de notre éducation, on est le résultat de notre destin surtout. Les gens agissent en fonction de motifs. Je traite de qui est coupable de quoi parce que finalement, on est tous coupables de quelque chose tout en étant coupables de rien. Ne pas tomber dans le cliché, c’est ne pas tomber dans la critique exclusive. On se critique tous et on rit l’un de l’autre. Mon travail n’est pertinent que si je vais piocher dans toutes les classes sociales. Dans tous les milieux. Mon but, ce n’est pas de rire de la bourgeoisie ou d’untel. Mon but, c’est de rire ensemble de nos imperfections à tous, et se voir et accepter l’autodérision, de sourire de soi-même.
Comment était Asmaa enfant ? Est-ce qu’il y avait déjà cette prédisposition à rire de tout, à transformer les choses, les situations ? A créer des personnages ?
Oui. J’ai toujours été dans l’observation. Etant la plus jeune de ma famille, j’ai toujours eu le temps, dans mon silence d’enfant, d’observer les grands. Les amis de la famille, les tantes. Etant donné que je n’avais pas de vie ! J’étais enfant! (Rires). J’étais toujours là au statut d’observatrice. Après, au fil du temps, avec les personnages que j’ai rencontrés ou qui sont dans ma vie comme mes meilleurs amis, mon cousin, mon fiancé, tous ces personnages là avec qui j’ai une forte complicité humoristique, cela a continué à se développer. Dans mon intimité, c’est quelque chose d’important pour moi. C’est la thérapie du quotidien. C’est une habitude que j’ai depuis enfant certes, mais pour conserver l’enfant qui est en moi, c’est quelque chose que je continue de nourrir.
Est-ce qu’il y a un personnage qui vous touche le plus, ou que vous avez plaisir à jouer plus que les autres ?
C’est difficile de choisir entre mes enfants ! (Rires). Mais j’adore Sanae, celle qui travaille dans un call center. J’aime sa force ! La difficulté dans mon quotidien, c’est d’incarner un personnage en faisant fi de ce qui se passe dans ma vie. On passe tous par des périodes plus difficiles émotionnellement que d’autres, on est parfois pas d’humeur. Mais je me dois de me défaire de moi-même pour incarner d’autres personnages. C’est mon challenge du quotidien. Et souvent, je puise la force dans le personnage comme celui de Sanaa, qui n’a pas forcément les mêmes traits de caractère que moi. Sanaa est quelqu’un de détachée, de nonchalant, elle peut ne pas répondre à Karim et ne pas penser aux conséquences, ce qui est tout le contraire de moi. Pour moi, chaque jour qui passe est vital. J’ai besoin de tout régler, d’être bien avec tout le monde. Je me dis que c’est peut être mon dernier jour sur cette Terre. Jouer Sanaa m’aide énormément. Et jouer un personnage masculin comme Jad, qui est dans la légèreté, qui n’est pas dans la responsabilité, de ses engagements, c’est aussi une thérapie. Du coup, j’ai plaisir à jouer des personnages qui ne me ressemblent pas du tout, ou masculins qui me permettent un détachement quasi total finalement.
Quel personnage que vous incarnez vous ressemble le plus ?
J’adore incarner des personnages qui ne me ressemblent pas justement. C’est là où je me sens grandir et sortir de ma zone de confort. Il y a le personnage d’Anouar, le jardinier qui est amoureux des plantes, qui est amoureux de ces choses vivantes qui ne parlent pas notre langage, dans lequel je me retrouve beaucoup. Où il se retrouve beaucoup en moi. On a la même sensibilité par rapport à la nature, on se ressemble dans cet amour envers ces belles créations.
Quel personnage a mis le plus de temps à prendre forme ?
Il y a des personnages que je joue, qui sont ancrés dans l’écriture. Ils ont plus de choses à dire que de choses à vivre. Alors qu’il y a des personnages comme Sanaa ou Jad, qui sont moins dans le dire, et plus dans le jeu. Il y a des personnages qui prennent plus de temps à mettre en forme, entre la prédation, le maquillage, les accessoires. Mais je pense que ce ne sont pas les personnages qui ont mis du temps à prendre forme, c’est mon jeu qui a évolué avec le temps. Qui a mûri avec moi. Plus je grandis, plus je vois les choses différemment, de façon plus profonde et mature. Cela aide beaucoup dans le fait d’incarner. Et de comprendre les motifs psychologiques derrière.
Quelle est la journée type d’Asmaa El Arabi ?
En général, je fais en sorte de savoir ce que j’ai à faire le lendemain. Je me réveille souvent avec une anxiété de production. Peut être liée à notre système capitaliste. Je réponds à mes mails et mes appels urgents de la journée, avant d’attaquer le petit déjeuner. En général j’alterne entre le bureau et tous les rendez-vous extérieurs, ou les tournages prévus. Je passe beaucoup de temps au téléphone aussi. Presque tous mes amis et les gens que j’aime habitent à Paris ou à l’étranger.
Parlons de la création. Depuis quand écrivez-vous?
Depuis toute petite. Depuis l’âge de 6 ans. Des poèmes, ce que je ressentais, à mon niveau bien sûr. J’ai toujours aimé le fait d’écrire et de décrire les choses. Les scènes, ce que je voyais. J’avais écrit un poème sur un verre d’eau à l’âge de 12 ans. Sur la lumière qui traverse l’eau, cette sensation d’un temps qui s’arrête et tout le réconfort, dans cette image simple et rassurante. Je me souviens de ça. J’ai encore tous mes poèmes d’ailleurs.
Quel humoriste vous fait le plus rire ?
Incontestablement, Gad El Maleh ! Pour moi son humour, le restera. J’ai énormément de respect pour Hanane El Fadili, que j’aime beaucoup. J’aime aussi l’écriture de Hassan El Fed.
Il y a la chanson aussi. Vous attendiez-vous au succès de « Cabestan, Cascade, Petit Rocher » ?
Je sentais quelque chose. Il y avait quelque chose de catchy et d’incompréhensible. Je ne savais pas pourquoi je croyais en ce slogan, en ce refrain. Cela reste très inattendu. C’est drôle, quand la sensibilité personnelle croise celle du grand public. Ce sont des moments rares. Personne ne peut expliquer vraiment pourquoi, mais cela marche.
Quand est-ce qu’est née l’idée d’aller jusqu’au clip ? Comment avez-vous pensé le clip justement ?
On a été contacté par Amir Rouani, qui a adoré l’idée, le concept, l’absurdité, et qui est totalement dans cette mouvance. Vu son travail que je respecte et que j’admire énormément, je savais que c’était l’homme de la situation pour travailler sur cela. Cela faisait longtemps qu’Amine me parlait d’Amir, et là est venue l’occasion de travailler ensemble. Je me suis lancée tout de suite.
A quel point la prise de risque est toujours importante dans ce métier ?
La prise de risque est importante. Il ne s’agit pas d’être provocateur, parce que je pense que c’est un risque facile. Il s’agit plutôt de prendre des risques par rapport à soi. De continuer à faire les choses qui ne mettent pas en valeur soi-même dans l’image que nous imposent les réseaux sociaux, mais plutôt quelque chose qui mette en valeur l’art auquel on essaye d’accéder. Je parlais d’être ou de paraitre belle, ou d’être conforme à une certaine image féminine. Et bien non. On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Il faut se lancer et prendre le risque de ne pas être «belle». Il faut aussi dissocier la vie normale de la vie théâtrale, mais quand on est en plein dedans, il n’y a pas de demi mesure.
Pensez-vous à une conversation sur la scène où souhaitez-vous rester au format digital ?
Sur scène, j’ai déjà fait des live pour des évènements privés, en interne. J’étais justement dans la préparation du spectacle qui a été arrêté par la pandémie. Le digital est pour moi un spectacle continu et le lien créé à travers cette continuité est irremplaçable.
Des envies de cinéma ?
Oui ! J’attends le bon projet, la bonne proposition, mais j’en ai très envie. Les personnages sont parfois dramatiques, pas forcément directement drôles. J’aimerais beaucoup explorer cet aspect là. Je pense en être capable avec les bonnes personnes, les bonnes équipes, les bons guides.
Interview confinée
Est-ce que le confinement a favorisé votre créativité ou le contraire ?
Le confinement a beaucoup favorisé ma créativité, parce que cela laisse au temps de germer. Le fait qu’il y ait moins d’activité et d’interactions humaines, m’a permis de me concentrer sur un personnage que j’ai commencé à écrire. J’ai donc eu le temps d’approfondir les choses. Cela donne des choses beaucoup plus abouties.
Qu’est-ce qui a changé pour vous pendant ce confinement ?
Peut-être le fait de découvrir ses limites. Il y a des angoisses qui reviennent à la surface mais que l’on peut justement écumer. C’est le moment de les questionner et d’avancer sur des points très précis. Comme la peur de l’inconnu vu que nous sommes dans une période étrange, se demander pourquoi on est tellement sensibles à cette peur, apprendre à cohabiter avec l’ennui, faire de l’ennui autre chose, se recentrer sur l’essentiel, s’écouter. Tout ça a eu beaucoup de bon.
Est-ce que cela a fait naitre en vous de nouvelles habitudes, de nouvelles passions ?
Pas vraiment. Peut être reprendre de bonnes habitudes de lectures. Cela m’a fait reprendre le sport. Je me suis concentrée sur une meilleure alimentation faite maison vu que l’extérieur était fermé. Tout ce qui est en rapport avec « saine de corps et d’esprit »
Quels enseignements tirez-vous de cette période ?
Avoir le temps de s’écouter et d’écouter ce qu’on ne veut pas entendre en temps normal, de son corps et de son esprit.
VH’view
Si tu étais une star de cinéma
Mel Gibson ! J’aime bien ses coupes dans les films. Je trouve qu’il a souvent des rôles où il est obligé de surjouer. J’aime la justesse dans son sur-jeu.
Si tu étais un livre
Les pensées pour moi-même de Marc Aurel, un petit livre de sagesse que j’ai trouvé dans une Fnac à Paris, que j’ai perdu d’ailleurs. Plein de petites pensées très courtes, numérotées. Un livre à avoir toujours dans son sac, pour être guidé et accompagné.
Si tu étais une ville
New York. J’y ai passé 6 mois et ce sont des mois gravés dans mon présent. Comme un film que je n’avais jamais vécu. C’est pourtant bien réel.
Si tu étais une gourmandise
Cup Cake Caramel…Mais je ne suis pas convaincue. Je dirai plutôt Velvet Cake. Ou un bon gâteau à la crème. J’adore les gâteaux à la crème !
Si tu étais une série
Lizzie McGuire !
Si tu étais un super pouvoir
Téleportation !
Si tu étais une chanson
Sûrement une chanson de Die Straits, mon groupe préféré. Telegraph road.
Quel est ton rêve de gosse ?
Je me suis toujours imaginée dire des choses intelligentes devant un public impressionné. Je ne sais pas qui étaient ces gens, mais en tout cas ils criaient Bravo et applaudissaient !
Ta plus grosse bêtise étant petite
Je me souviens d’une télévision que mes parents venaient d’acheter. Et que j’ai cassée. J’ai tiré le fil et mon père s’est jeté sur moi pour éviter qu’elle me tombe dessus. J’ai cassé la TV certes, mais elle n’est pas tombée sur moi…