L’un des pionniers de la production de spectacles au Maroc, Hakim Lahlou, qui peut se targuer d’avoir porté aux cimaises le métier, en signant la venue à Casablanca d’artistes tels que Ray Charles, Aznavour, Julio Iglesias ou encore George Benson, revient cette année avec une nouvelle salve de prestigieuses représentations, dont celle du très plébiscité James Blunt. L’occasion pour nous de revenir sur son parcours. Par omar mrani
Qui est Hakim Lahlou ?
Je suis un jeune entrepreneur qui essaie de faire des choses qu’il aime et de les faire partager. En l’occurrence, produire au Maroc des artistes de qualité qui plaisent au public. C’est une belle aventure qui a connu des moments forts et d’autres plus difficiles, mais je garde cette ambition et cette volonté de partage qui m’animaient à mes débuts.
Quel est ton plus ancien souvenir lié à la scène ?
Ce sont peut-être les concerts de Hassan Ideddir, durant les années 1980. Une époque où nous étions tous fascinés et impressionnés par les prestations qu’il fournissait sur scène et le spectacle qu’il nous offrait. Je me rappelle aussi d’un concert de Bob Marley que l’on avait en vidéo à la maison et qu’on se repassait en boucle.
Tu as déclaré que ton premier amour est le café-théâtre, c’est vrai ?
En fait, je suis tombé amoureux du café-théâtre par hasard. C’était lors de mes études dans une école de commerce à Paris, où je me suis inscrit à un atelier de théâtre et j’ai intégré une association qui s’appelle les Ribouldingues. J’y ai donc joué sur scène une pièce qui a eu beaucoup de succès, puis j’ai intégré le bureau de l’association organisatrice. L’année d’après, je les ai convaincus de venir donner une représentation au Maroc, chose que l’on a faite et ça a été un franc succès. C’est de cette expérience que m’est venue l’envie de devenir producteur de spectacles.
Pourquoi n’arrive-t-on pas à développer au Maroc une culture du café-théâtre du type Splendid ou Café de la Gare ?
La raison est qu’il n y a pas de lieux dédiés. Les infrastructures sont le parent pauvre de l’activité de spectacle au Maroc. Et pourtant ce ne sont pas les talents qui manquent.
Quel artiste rêverais-tu de pouvoir produire au Maroc ?
Prince. Mais je pense avoir déjà réalisé pas mal de mes rêves en la matière, puisque j’ai pu produire des monstres sacrés tels que George Benson. D’ailleurs, à mes débuts, j’avais pour ambition de réaliser une sorte de trilo-gie : produire au Maroc Ray Charles, Charles Aznavour et Julio Iglesias. Et j’y suis parvenu puisque en trois années, coup sur coup, à l’âge de 25 ans, j’ai convaincu les trois de venir se produire au Maroc. Et je peux vous dire que cela n’avait pas été évident. D’ailleurs, pour Ray Charles, les gens étaient convaincus qu’il s’agissait d’un sosie et on a eu beaucoup de mal à vendre les billets. Heureusement, 2M l’a interviewé dans son hôtel et la vente des billets a pu démarrer, si bien que l’on a affiché complet en fin de compte.
Quel souvenir gardes-tu de lui ?
C’était un personnage hors norme qui vivait pleinement sa vie. Une personnalité haute en couleur, ce qui est souvent le cas lorsqu’il s’agit de grands artistes. On a eu pas mal d’anecdotes avec lui, notamment concernant ses billets d’avions de retour qu’il a demandé à changer plusieurs fois, à destination de Rome puis de Paris. Il avait dans les deux villes une femme qui l’attendait. Je crois qu’il en avait huit au total. Et donc, le jour J, juste avant que le concert ne commence, il a exigé que ses billets soient changés de nouveau pour Rome, sinon il ne monterait pas sur scène. Or, on était samedi, et la RAM était fermée pour le week-end. Nous avons donc été obligés de trouver un représentant de la RAM et de le faire venir dans sa loge. Ce dernier a bien voulu discuter avec lui alors qu’il ne comprenait pas un seul mot d’anglais. Il lui répétait : « No problem. Tomorrow. No problem. It’s OK ».
On a pu le convaincre. Il est monté sur scène et a donné un concert mémorable. Le lendemain, bien sûr, à l’aéroport, il n’y avait nulle trace du représentant de la RAM. Ray Charles a refusé de sortir de sa limousine tant qu’il n’avait pas ses billets pour Rome. On a dû faire intervenir des gens de l’escale et on a pu lui changer ses billets. Cela reste un très bon souvenir tout de même.
Les Américains disent : « There is no business like showbusiness ». Confirmez-vous ?
Ce n’est pas encore le cas au Maroc. Et l’une des raisons est qu’il y a beaucoup de paramètres qui font défaut ou qui nous portent préjudice. Notamment celui des festivals, qui nous pénalisent beaucoup en tant qu’opérateurs privés. Il est inconcevable qu’on organise des festivals financés pratiquement à 100% par les pouvoirs publics et qu’on instaure la gratuité pour tout le monde. Un spectacle, ça se mérite. Il faut que les gens achètent leurs places. Même si c’est 15 ou 20 dirhams. On se retrouve nous, opérateurs privés, fortement concurrencés et obligés de travailler dans des conditions parfois intenables. Il faut savoir qu’au Maroc, nous ne disposons pas de salles, ni de structures, ni d’accompagnement, ni de lieux pour vendre les billets. Tous ces facteurs font que nous sommes très pénalisés mais bon, nous aimons notre métier et nous essayons de le faire aussi bien que possible.
Pourtant « The show must go on » comme on dit ?
Effectivement, « The show must go on », mais nous vivons quand même une situation très paradoxale. Aujourd’hui, notre société de production, qui a plus de dix ans d’expérience dans le métier, a des contacts dans le monde entier. Nous connaissons tous les managers et tous les tourneurs du monde. On peut, entre guillemets, contacter demain le manager de Madonna et essayer de le convaincre de la faire venir au Maroc. Ceci dit, nous n’en avons pas les moyens. Nous avons une toile de contacts tissée de par le monde, avec une confiance des managers à notre égard du fait de tous les concerts que nous avons organisés avec succès. Mais nous ne pouvons pas passer à l’étape supérieure parce que nous n’avons pas les moyens de nos ambitions. C’est un véritable dilemme : nous sommes en même temps très proches du reste du monde et très loin. Proche par notre réputation en tant que société de production, notre carnet relationnel et notre background dans le métier et loin parce que nous n’avons pas, par exemple, de lieux dédiés aux concerts.
Est-ce qu’il y a un projet de Zénith ou équivalent ?
Malheureusement pas. Il y a des projets de salles de 1.200 à 2.000 places et des projets de stade de 60.000 places. Entre les deux, rien n’est prévu pour des concerts qui, en général, nécessitent des salles de 7.000 personnes, voire de 15.000 pour les têtes d’affiches internationales. C’est cela le problème au Maroc : on passe de 900 à 60.000 places. Il faut quand même savoir marcher avant de courir ! Et si on arrivait d’abord à rentabiliser des spectacles de 7.000 à 8.000 personnes, voire de 15.000 pour les grandes stars, et bien les maîtriser, je pense que cela nous donnerait une bonne image et nous permettrait de faire des choses récurrentes. Aujourd’hui, on dépense beaucoup d’argent dans des festivals en plein air alors que nous pourrions construire une salle par an avec cet argent. Si nous avions fait cela durant les cinq dernières années, nous aurions des salles dans les principales villes et on aurait permis aux entrepreneurs privés de les faire marcher et de programmer des spectacles de qualité, viables économiquement. Ces salles pourraient d’ailleurs accueillir des festivals gratuits, comme celui des musiques sacrées à Fès ou celui du concert de la tolérance à Agadir.
La meilleure anecdote qui vous soit arrivée depuis que vous faites ce métier ?
C’est celle que j’ai vécue avec Cesaria Evora et qui a été pour moi une véritable leçon d’humilité. On avait organisé deux concerts avec elle et tout c’était très bien passé. Nous avons donc convié la presse et certaines personnalités à un cocktail au Hyatt Regency, à l’actuel 6 P.M., pour fêter cela. Or, la principale invitée, Cesaria, se tenait à l’extérieur du lounge bar, dans le hall, et refusait de se joindre à nous. Lorsque je lui ai demandé la raison de son refus de nous rejoindre, elle me répondit qu’elle avait vu que tout les convives avaient un carton d’invitation et qu’elle n’en avait pas. Je lui en ai ramené un et c’est là qu’elle a accepté de se joindre à nous.
Quelles qualités faut-il avoir pour réussir une bonne ambiance ?
Il faut avoir le flair et savoir un petit peu ce que le public va aimer écouter. Il faut aussi tout mettre en place pour que les gens soient à l’aise et cela va de l’accès facile au lieu du concert, au parking, à l’accueil, en passant par la qualité sonore de l’équipement et des lumières et les conditions de confort du lieu. Or, cela reste très difficile au Maroc parce que le producteur doit s’occuper de tout, alors qu’en Europe et en Amérique, il suffit d’envoyer sa fiche technique aux salles de concerts, à charge pour eux de vous préparer la salle. Le producteur n’a plus qu’à se concentrer sur son artiste.
Quel est, selon toi, le plus grand groupe de Rock&Roll au monde ?
Les Beatles en leur temps. Aujourd’hui, je dirais que ce sont des groupes comme U2 qui évoluent bien avec leur temps tout en gardant leur cachet.
La chanson que tu écoutes en boucle en ce moment ?
Je n’écoute malheureusement plus autant de musique que je le voudrais. En tant qu’organisateur de spectacles, j’écoute beaucoup la radio pour voir celles qui communiquent sur mes concerts et en font la promo. Mais pour répondre à votre question, il y a une tendance à trop aller vers le commercial en termes de musique, et c’est bien dommage.
La meilleure époque musicale selon toi ?
Les années 80, mais je ne suis pas nostalgique pour autant. Je pense que la musique doit évoluer. Mais il est vrai que je ne comprends pas tout de ce qui se joue actuellement. Je préfère les artistes qui créent leur propre univers.
Tu as déclaré que les Marocains préfèrent aller à un mariage qu’à un concert pour expliquer le peu de monde qui est venu voir Julio Iglesias (en l’occurrence, le concert tombait le jour du mariage d’un grand ponte du Nord). C’est pour parer à cela que cette fois-ci tu as programmé James Blunt, l’auteur de « LA » chanson jouée dans tous les mariages et à toutes les demandes de mariages :
« you’re beautiful » ?
Il est vrai que la date du concert de Julio Iglesias correspondait avec celle du mariage de la fille d’une grande personnalité tangéroise, et comme Julio est surtout très prisé par les gens du Nord, nous avons eu beaucoup de méventes. Ça s’est traduit par deux ans de cessation d’activité pour notre société de production et une perte sèche de deux millions de dirhams. Ce n’était pas rien et cela nous a marqués. Mais ce n’est pas pour cela que j’ai fait le choix d’amener James Blunt. Ce que nous tentons de faire, c’est de coller à l’actualité et d’être pertinents dans notre programmation. Nous proposons un panel varié d’artistes, puisqu’aux côtés de Blunt, nous avons aussi Esperanza Spalding, qui vient de remporter le Grammy Awards catégorie jazz. On tente aussi de s’ouvrir vers les jeunes talents et les talents émergents tels que Katy Perry pour laquelle les négociations ont achoppé sur le montant du cachet. Mais nous ne désespérons pas de l’avoir l’année prochaine. Ce n’est pas pour nous vanter, mais nous avons amené beaucoup d’artistes en avant-première au Maroc tels qu’Al Di Meola, George Benson, Aznavour, Julio et beaucoup d’autres. Chaque fois, on tente de dénicher les talents qui plaisent et qui ne sont encore jamais venus au Maroc. Après, nous enclenchons la machine promotionnelle. Le challenge, c’est de convaincre l’artiste de venir jouer au Maroc, puis de convaincre le public de venir assister au concert. Dans notre métier, il faut aimer le challenge pour réussir.