Nabil El Mallouk : L’art dans tous ses états

by Abdelhak Najib

Entre Nabil El Mallouki et les arts plastiques, c’est une belle histoire de passion. Et de destinée. Normal que l’on aboutisse aujourd’hui à un grand musée à Marrakech : le MACMA, qui vient d’ouvrir ses portes, fin février 2016, au grand bonheur des aficionados. Retour sur un parcours écrit d’avance.

Septembre 1993. Il est 8h15. Tétouan. Agence crédit du Maroc. C’est le premier jour de boulot pour un jeune homme. Il est dépaysé, une autre ville, loin de Marrakech et de Casablanca qu’il connaît si bien. Le Nord, c’est beau. Tétouan est une belle ville, au charme suranné, mais le jeune qui débute dans la vie, n’a pas encore pris ses marques. Le jeune homme en question s’appelle Nabil El Mallouki. Inconnu au bataillon. Un citoyen parmi d’autres qui débarque dans une autre bourgade et doit faire ses preuves. Premier client du jour, une figure des arts plastiques marocains qui entre dans la banque. Saâd Bencheffaj. Comme un signe du destin. Petite discussion entre les deux. Évidemment, on en vient à la peinture. Le nom de Henri Matisse est lâché. Normal pour un peintre du Nord qui connaît Tanger où le peintre français a immortalisé quelques belles pages des arts plastiques dans le monde.

   

Le 26 septembre, c’est la fin du mois. La fin du premier mois de travail du jeune Nabil. Première paye aussi. Les poches bien chaudes, le banquier va s’acheter de quoi meubler son nouveau chez lui. 19h 15, un vieux bonhomme est assis avec plusieurs tableaux posés à même le sol ou contre le mur. Nabil s’arrête et les regarde. Le vieux les lui propose. On négocie pendant un très bref moment et Nabil dit au vendeur: «Voilà ce que j’ai en poche, si tu acceptes, je prends tout le lot avec cette somme. C’est tout ce que j’ai». Marché conclu. Adjugé. Nabil El Mallouki ne va pas meubler son appartement. Pas ce mois-ci. Le salaire est parti en tableaux. Un coup de cœur. Une lubie. Une passion. La nuit, il est assis à même le sol, dans un appart vide, et il contemple ses tableaux. Cela va durer une bonne partie de la soirée. C’est le déclic. Le début du mois, il entame sa nouvelle mission en rencontrant un grand plasticien marocain. La fin du mois, il liquide son salaire en tableaux. Durant toute la période vécue à Tétouan, Nabil El Mallouki va acheter d’autres toiles et commence déjà sa belle collection. Chaque fois, une découverte. Chaque prise, un nom qui éclot. La formation sur le tas se fait en douce. Le reste appartient à l’histoire de la passion. Et la suite arrive quatre années plus tard.

Nabil El MalloukiX arts plastiquesNous sommes en 1997. Le projet de faire des arts plastiques un métier devient pressant. Nabil El Mallouki aime son boulot à la banque, mais sa vie, ce sont les tableaux, les peintres, leurs itinéraires, leurs styles, leurs périodes. Il lit, il se documente, il revient en arrière, fouille dans le passé, veut tout savoir sur les peintres marocains, orientalistes, les plus grands courants, les classiques, les maîtres flamands, la grande période allemande, les Hollandais, la finesse britannique, les novateurs américains, la peinture contemporaine…

De retour à Marrakech, il retrouve son acolyte. Un ami, un vrai : Youssef Falaky. Lui aussi un garçon attachant et amoureux des arts et du beau. Le projet de donner corps à une galerie d’art est au poil. Devinez quel nom pour la galerie? Flashback. Saad Bencheffaj et son conseil. Nabil appelle le peintre du Nord pour lui en toucher un mot. Ce dernier lui dit qu’il faut rendre hommage à Matisse. Évidemment, c’est Matisse qui s’impose. Et voilà que la grande galerie Matisse de Marrakech voit le jour. Nous sommes en 1999. Voilà que Marrakech a sa place forte, tenue par deux jeunes dans le vent qui pensent peinture, parlent peinture, rêvent peinture, achètent et vendent de la peinture et surtout vont à la découverte de grands artistes encore inconnus ou méconnus du public. «Je ne l’aurai pas fait avec quelqu’un d’autre. Jamais. Youssef Falaky est un ami de 30 ans. C’est avec lui que l’aventure prend tout son sens». Quand on pose la question à Youssef, bien sûr, il ne tarit pas d’éloges sur son binôme. Les deux hommes s’aiment comme des frères. Ils s’apprécient dans le travail. Ils se complètent. Ils ont une même vision de leur projet. «Matisse Art Gallery est aujourd’hui une institution reconnue sur le plan national et international. Elle s’attache à promouvoir l’art marocain, qu’il s’agisse d’artistes reconnus dont elle expose régulièrement les œuvres, ou de jeunes peintres à qui elle donne, dans la durée et le suivi, la possibilité de développer leur travail. Par la publication régulière de catalogues et de monographies d’artistes elle participe à leur rayonnement auprès du public. Elle accompagne ainsi une production artistique qui aujourd’hui, au Maroc, fait preuve d’une extrême vitalité.” Précise Youssef Falaky. Aujourd’hui, dix-sept ans après: “C’est une vie. Nous avons eu de grands moments de bonheur avec des expositions et des exhibitions qui ont marqué le paysage artistique marocain. Nous avons découvert de très grands talents. Nous avons donné de la visibilité à des artistes de grand calibre. C’est là notre unique fierté”, ajoute Nabil El Mallouki. Matisse devient la référence et sera classé parmi les 10 meilleures galeries d’art africaines sur 500 galeries sélectionnées. Elle est la seule galerie marocaine à avoir autant de visibilité dans le monde, et surtout cette reconnaissance de la part des plus grands spécialistes des arts plastiques aujourd’hui.

La question qui reste posée, c’est celle de la conversion d’un banquier en grand promoteur d’art. Parcours certes atypique, mais c’est une question de passion. Pour ceux qui connaissent Nabil El Mallouki, il n’y a là qu’une suite logique d’un itinéraire. Le bonhomme est très simple, très discret, il réalise des choses magnifiques, mais ne s’en vante pas. Il mène sa barque avec beaucoup de rigueur, le tout nourri d’un réel amour pour la peinture. Nabil El Mallouki est aussi un mec bien droit dans ses baskets. Il a la tête sur les épaules. Il sait ce qu’il veut. Il sait surtout où il va. Normal que son travail débouche aujourd’hui sur la création d’un musée pour Marrakech: le MACMA. Un autre défi, un autre coup de maître.

   

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