Responsable du Patrimoine & des actions culturelles
Fée de la culture, riche d’une connaissance artistique poussée, Sanaa El Younsi vit d’art et d’eau fraîche. Plongée dans les collections d’oeuvres, dans les expositions, dans les évènements culturels, la jeune Marrakechi vit de sa passion. Comment en est-elle arrivée là ? Réponses.
Comment pourriez-vous décrire votre métier ?
Comme a dit Confucius : « Choisissez un travail que vous aimez et vous n’aurez pas à travailler un seul jour de votre vie. »
Cela ne veut pas du tout dire, que mon travail n’est pas exigeant mais quand il s’agit de passion on ne compte pas. Travailler dans l’art et la culture demande beaucoup de patience, on est amené à dépenser beaucoup d’énergies à tous les niveaux, des fois même plus émotionnelles que physiques. Il faut savoir être un couteau suisse, car dans ces métiers rien n’est impossible, il faut anticiper et toujours trouver des solutions. Dans le cas ou l’artiste est vivant, On doit savoir l’écouter, le comprendre, se mettre à sa place, mais aussi avoir la capacité de pénétrer dans son intimité intellectuelle une fois c’est permis, il faut surtout respecter cette intimité et ne pas l’enfoncer, quelque soit la discipline artistique, car le processus de création est souvent le même, ce n’est que l’expression qui change. Dans le cas où l’artiste est décédé, il faut apprendre à le connaitre à travers son œuvre, ses archives, sa famille et les personnes qui l’ont côtoyé et là aussi la responsabilité est énorme, car il s’agit simplement de sa mémoire, une mémoire qu’il faut célébrer.
Dans nos métiers il faut respecter la création dans toutes ses dimensions au point de la conserver dans le but de la transmettre aux générations futures, ces créations constituent une trace et une iconographie de l’histoire. Et c’est toujours plaisant d’apprendre sur l’histoire d’un lieu ou d’un pays à travers son histoire de l’art.
Enfin, dans nos métiers on est entouré du beau, des fois on perd même les notions de la réalité mais ce n’est pas plus mal car c’est ce qui nous donne la capacité de continuer.
Est-ce une passion depuis toujours ?
C’est plutôt une passion qui s’est alimentée à travers les années et les projets. J’avoue que j’étais très gourmande, et je voulais tout faire, le sport, la musique, le théâtre, etc. Je suis née dans une famille qui a toujours su valoriser et respecter l’art. Mon feu papa, nous récitait beaucoup de poésie et nous chantait les chansons de Abdelhalim Hafez, Oum Kaltoum, Abdelwahab Doukkali, Abdelhadi Belkhayat et d’autres et dans les grandes réunions familiales, mon oncle était notre chef d’orchestre avec son luth et sa belle voix. Mes parents ont toujours tenu de nous inscrire dans les activités parascolaires, pour eux c’était essentielle pour notre construction, ils avaient toujours respecté nos choix du moment qu’on les assumait. Ayant grandi dans la Médina de Marrakech, Ils nous laissaient pas jouer dehors mais ce n’était pas grave s’il s’agissait d’aller s’entrainer ou répéter.
Par quel parcours êtes-vous passé ?
Un parcours éclectique et varié. Comme je l’avais dit auparavant, j’avais beaucoup d’activités parascolaire dans lesquelles j’étais sérieusement engagée surtout que j’étais soutenu par ma petite famille. J’ai commencé par les matchs en championnats scolaires du volley-ball, au collège, lycée et même un peu à l’université. Ma première rencontre avec l’art s’est faite à travers la musique, j’ai fait mes premiers cours de solfège et du chant à la Fondation dar Bellarej à l’âge de 15 ans, je suis montée sur scène avec la Chorale de l’époque et j’ai même présenté plusieurs spectacles au point d’être félicitée par le délégué du ministère de la culture quand elle était à Dar El Bacha (aujourd’hui musée des confluences). J’ai assisté à la naissance de la Cie Anania, je faisais partie de la première génération «Al Mokhtabar», Avec Taoufiq Izeddiou nous avions reconstitué le bureau de l’association avec la nouvelle appellation «l’association On Marche» en 2014, j’étais secrétaire générale à ce moment-là. Aujourd’hui j’en suis la présidente depuis 2018 et nous accueillons donc la Biennale de danse en Afrique. Mon histoire avec la peinture surtout le street art, a commencé un peu tôt aussi et c’était grâce à Morran Belahcen qui était avec moi dans le même lycée (le plus historique et populaire de Marrakech) d’ailleurs il n’atait pas le seule dans ce lycée, DJ Van aussi, Hicham Bellaghzal et la talentueuse Meriem Raoui, grâce à ça, j’ai fait un petit passage à la David Bloch Gallery à Casablanca et ensuite la coordination de la production du Festival Remp’Art d’Azzemmour. Chef de projets chez resto Pro, je m’occupais également de l’association Sqala, un engagement social et éducatif à travers Les projets d’éducations sur le thème «apprendre autrement» pour les écoles publiques de la médina de Casablanca, j’avais également la chance de coordonner les Cafés Politis juste après le 20 février un évènement grâce auquel j’ai appris beaucoup et qui m’a permis de rencontrer beaucoup d’artistes et de personnalités publiques. Après quelques projets d’exposition à Marrakech, j’ai intégré le département artistique du FIFM, je me suis occupée des projets parallèles et partenaires La Marrakech Biennale 6 mais aussi coordonner les productions de quelques artistes avec les artisans dans la programmation officielle, j’ai coordonné égalment les projets culturels de la Cop 22 par l’AFD. En 2017 j’atterris à la Fondation Jardin Majorelle, d’abord comme assistante à la conservation pour l’ouverture du musée Yves Saint Laurent et ensuite chargée de conservation. J’ai eu la chance de coordonner au Maroc et de participer à l’installation de la dernière exposition de feu Mohamed Melihi, «New waves, Mohamed Melihi et l’école de Casablanca» par Zaman Books & curating, à Mosaïc Rooms et au Macaal, mais aussi «Consciences visuelles» de Mohamed Chebâa, toujours en place à la Fondation de la Culture – Abu Dahbi
Aujourd’hui je suis responsable du patrimoine et des actions Culturelles au Es Saadi Marrakech Resort, je m’estime chanceuse de m’occuper de la collection emblématique de ce lieu mythique et travailler au quotidien avec Mme Elisabeth Bauchet-Bouhlal.
Aviez-vous ce métier en tête avant le BAC?
Non pas du tout, je ne sais pas si dans les années 90 on pouvait déjà parler de métier dans ce sens, c’était plus des activités de divertissement, sauf si on est vraiment artiste peintre, acteur, musicien ou chanteur et encore ce n’est pas très «sérieux», en même temps, il n’y avait presque pas d’alternatives diplômantes spécialisées dans les métiers d’art et culture à moins de partir à l’étranger. De toute façon des personnes comme moi, animées par la passion et beaucoup de curiosité ne savent jamais ce qu’elles veulent faire après le bac, car on aime tout et on veut tout faire, certes ce n’est pas très bien apprécié puisque ça donne l’air d’une personne instable ce qui n’est pas du tout rassurant, mais aujourd’hui je suis fière de tout ce parcours et tout ce que j’ai accompli. Le chemin était long et complexe, mais vivre de sa passion est une grande réussite. Tout le monde ne peut pas être un Colibri, mais faut bien qu’il y’en a qui se sacrifie (rire)
Quelles études avez-vous faites ?
Après un baccalauréat en lettre modernes, je me suis inscrite à la faculté des sciences juridique, économiques et sociales de Marrakech, j’y suis restée deux ans et c’était largement suffisant pour savoir lire les contrats et les conventions et pouvoir en rédiger (rires). Mais la plus grande école reste le terrain, les rencontres et surtout la confiance, on a beaucoup cru en moi et on m’a beaucoup responsabilisé, encouragé de continuer et ne pas lâcher et j’avais toujours la mission de ne pas décevoir toutes ces personnes, ce n’était que comme ça que je pouvais leur exprimer ma gratitude et ma reconnaissance. Grace au musée YSL, j’ai pu accomplir des formations qualifiantes et spécialisés à l’INP paris et même au sein de la fondation, sur les différentes techniques de conservations préventives. J’ai collaboré et continue à travailler aux coté de grands professionnels de l’art, conservateurs, commissaires d’exposition, scénographes, artistes, desquels j’apprends tous les jours.
Quelles sont les qualités requises selon vous pour exercer votre métier ?
Passionnée c’est sûr. C’est tellement épuisant que si on n’a pas la passion on risque de lâcher vite et passer à autre chose.
Il faut être curieux et ouvert sur le monde, c’est un métier qui évolue très vite, il est aussi très riche, il se passe toujours des choses dans le monde entier qu’il faut être à la page. Il faut avoir beaucoup de patience et de l’écoute, des fois même il faut savoir s’effacer. Il faut avoir beaucoup de méthode, car c’est un grand champ lexical avec beaucoup de sous métier qu’il faut coordonner. Il faut avoir une large connaissance artistique et historique mais aussi des différents matériaux et leurs caractéristiques, il faut savoir anticiper et être une force de proposition, il faut être autonome mais aussi aimer travailler en équipe. Il faut être très polyvalent, avoir la capacité de rencontrer beaucoup de monde. Pour chaque nouveau projet il faut partir vierge, mettre de côté toutes les connaissances acquises auparavant, car chaque nouveau projet est une nouvelle expérience de vie.
Il faut surtout avoir le sourire.
Peut-on apprendre à aimer l’art et à le maîtriser ou est-ce un don ?
Chanceux ceux qui ont ce don, mais bien sûr qu’on peut apprendre à aimer l’art et pour l‘aimer il faut le côtoyer. Pour le côtoyer il ne faut pas hésiter à aller voir les expositions, les musées, les spectacles, etc. Des fois les gens se mettent des barrières sous prétextes qu’ils ne comprennent pas l’art ou que c’est ambigu, ça reste donc inaccessible. Il ne faut pas avoir honte à demander, à échanger avec les artistes ou à utiliser les moyens de médiations dans les lieux culturels. Je pense que dans la vie c’est valable pour tout, il faut avoir la capacité de s’ouvrir à l’autre, aller à la recherche des choses et ne pas rester dans l’attente, c’est une forme de générosité.
Quelles sont les options pour les jeunes marocains s’ils veulent suivre votre voie ?
Aujourd’hui au Maroc, les jeunes ont la chance d’avoir les possibilités de carrières dans les métiers d’art et culture et d’artisanat aussi.
L’institut nationale des sciences de l’Archéologie et du Patrimoine à Rabat propose plusieurs formations initiales : Archéologie, anthropologie-muséologie, conservation-restauration et le patrimoine culturel immatériel, avec master qui est doté des filières : diversité culturelle et patrimoine et préhistoire. La faculté des lettres et des sciences humaines de l’université Mohamed V à rabat propose un master spécialisé en muséologie et médiation culturelle. La faculté des lettres et des sciences humaines de l’université Ibn Zohr à Agadir propose une nouvelle licence professionnelle en histoire de l’art. L’école supérieure des arts visuels de Marrakech a lancé cette année les Bachelors en cinéma et audiovisuel, le design graphique mais aussi l’ingénierie culturelle. La fondation nationale des musées lance un programme de formation panafricain, en matière de conservation du patrimoine et d’ingénierie culturelle, ce programme sera inauguré le 28 octobre 2021. La formation à l’artisanat est assurée par l’Académie des arts traditionnelles de Casablanca.