Que devons-nous aux penseurs et philosophes arabes aujourd’hui dans un monde de clivages? Comment faire face aux obscurantismes sans un retour aux fondements de cette même pensée arabe, telle qu’elle a été nourrie par des figures comme Ibn Rochd, Al Farabi, Al Kindi, Al Razi et tous les autres savants de l’âge d’or de l’islam médiéval? Ce sont là des interrogations pour approcher l’importance d’un héritage oublié dans un Monde arabe à la dérive…
On ne peut parler de l’âge d’or de l’islam médiéval sans parler d’Ibn Rochd, connu en Occident sous le nom d’Averroes. Son apport à la pensée universelle est si important qu’il peut être considéré comme l’une des étapes clefs pour comprendre l’histoire de la philosophie, non seulement dans le monde arabo-islamique, mais aussi en Occident, où ses ouvrages ont eu un impact majeur sur les savants de la renaissance. Evidemment, il y a la grande figure d’Al Farabi, ce grand philosophe, précurseur d’une pensée humaine ouverte sur les sciences et la connaissance dans ce qu’elles ont de plus vaste pour élever l’humanité à une période où l’Occident vivait dans le Moyen-âge. Il y a aussi la figure importante d’Ibn Sina, connu sous le nom d’Avicenne, grand savant, médecin et penseur qui a révolutionné la médecine. On peut aussi parler de grands scientifiques et philosophes comme Ibn Al Haytam, Al Kindi, Al Razi, sans oublier l’apport extraordinaire des grands mystiques comme Ibn Arabi et Al Ghazali. Toute cette période qui se situe entre le milieu du VIII siècle et le milieu du XIII ème siècle. Une période faste où les grands califes arabes avaient tout misé sur les sciences, la culture, les arts (architecture), la philosophie, la littérature (poésie) et les découvertes géographiques. On le sait, les grands philosophes arabes ont beaucoup écrit sur l’amour, la poésie, la littérature, les arts et leur importance dans l’élévation d’une société. Où en sommes-nous aujourd’hui de ces préceptes? Où est l’héritage de ces grandes figures de la pensée arabe? Pourquoi y a-t-il eu une coupure qui semble irréversible avec cette période et son foisonnement culturel, son avant-gardisme, ses innovations, ses recherches, sa force et sa projection dans l’avenir? Ce qu’il faut souligner d’emblée, c’est que dans la civilisation de l’Islam, la notion d’Amour qui s’exprime d’une façon continue dans la poésie, la littérature, la philosophie, est assez bizarrement quasiment occultée aujourd’hui. Pourtant dans un monde aussi clivé, il nous faut ce retour à une vision aussi saine, aussi élevée de l’amour, de la paix, de la tolérance, du sens suprême du partage entre les cultures. Quand on fait un retour aux sources de la pensée arabe, chez les grands philosophes, les grands poètes et les savants, on se rend compte de l’ouverture d’esprit dont ils faisaient preuve, de leur amour de la découverte des autres cultures, de cette soif de communion avec d’autres civilisations.
Retour aux sources
Nous assistons aujourd’hui (et cela dure depuis plusieurs siècles) à l’occultation de cette pensée arabe tournée vers l’ouverture, le partage et les échanges avec les autres cultures. Pour de nombreux philosophes arabes actuels, on peut trouver les sources de la montée des extrémismes partout dans le monde dans ce rejet des grands enseignements des penseurs arabes de l’âge d’or. ?
Il est évident que l’extrémisme est la conséquence directe de l’occultation de la spiritualité. Un adage qui rime en arabe dit que lorsque cette dernière disparaît, l’extrémisme apparaît. Dans un désert spirituel, les hommes se rabattent naturellement sur toutes sortes de mirage. C’est à la société de donner des offres culturelles porteuses de sens. C’est ce qui fait que la culture aujourd’hui est un enjeu sociétal et politique majeur. Ce qu’il faut retenir des grands penseurs arabes comme Ibn Rochd, Al Farabi et d’autres, c’est leur conviction que le monde est meilleur quand les pensées qui y ont droit de cité sont celles où l’amour et la spiritualité tiennent une grande place. Aussi, faut-il garder à l’esprit que cet âge d’or de la pensée islamique était une combinaision de la philosophie en toute liberté, de la science qui doit être un fondement de la société et de la spiritualité comme mode de vie.
Crise des valeurs
L’autre point important à traiter dans ce dossier, est celui de l’éthique et des valeurs. Nous traversons, sans aucun doute une énorme crise de valeurs qui a favorisé l’implantation d’idées archaïques et obscurantistes. Un retour aux sources est-il urgent aujourd’hui pour juguler cette montée et y faire face? La réponse est oui et sans ambages. Et cette crise prend des formes multiples. La question est de savoir comment, avec quel bagage, d’éducation et d’apprentissage, d’acculturation sociale, et le mot acculturation ici signifie l’entrée dans un processus culturel, nous pouvons l’aborder et y faire face. Le monde est ainsi fait. Les crises peuvent donc être matérielles et immatérielles. Comment répondre par exemple au désarroi identitaire qui amène un grand nombre de jeunes à se replier sur des identités réinventées sur un mode pathologique, ce que Amine Maalouf avait appelé des identités meurtrières? Aller au fond de ces questions c’est traiter les dérives radicales dont vous parlez à leurs racines et ne pas se contenter d’en éponger les effets. Et le retour à la pensée arabe médiévale peut être d’une grande aide, pour d’abord comprendre les fondements de l’islam, les grands axes de la spiritualité dans sa relation avec le vivre-ensemble, dans un monde en constants changements. Et surtout, revenir à des fondamentaux comme la tolérance.