Depuis mars dernier, l’école a fermé dans tout le Maroc, dans le monde. Le lien entre cette oasis de la pensée et ceux qui aspirent à en profiter a été pour le moins rompu, si ce n’est complètement chamboulé. Coulisses d’une rentrée scolaire casablancaise bousculée par la pandémie, vue par les parents, les élèves, le corps professoral ou encore les écoles.
Si les mois de confinement ont été vécus différemment par les Marocains, la rentrée des classes a fait jaser de manière générale. Le lundi 7 septembre 2020 restera dans les annales. La veille, à 22h, la nouvelle de fermer les écoles à Casablanca et à Marrakech n’est pas passée. Tout était prêt pour une rentrée « normale » quand soudain, tout s’écroulait. « On ne nous a pas laissé le temps de nous organiser. Bien sûr que l’on comprend la décision du gouvernement, mais pourquoi la veille au soir ? Mes enfants dormaient déjà, ils ont appris la nouvelle le lendemain matin » confie Rym, femme au foyer à Casablanca. « J’avais couché les enfants à 19H30 ce soir-là. Ma petite m’avait dit avant de dormir : je n’ai pas envie de dormir cette nuit tellement j’ai envie de retrouver mes amis et de retourner à l’école » se souvient Driss. « Le matin, j’ai dû partir au bureau à 7H30 et j’ai dû annoncer à ma petite au téléphone, qu’elle n’allait pas à l’école. Cela a fait ressortir chez elle le mauvais souvenir du confinement, l’arrêt brutal de l’école en mars dernier. Cette situation ne peut pas durer. Je suis prêt à prendre tous les risques, pour que mes enfants reprennent le chemin de l’école. Les enfants ne peuvent pas rester enfermés » renchérit le cadre supérieur à Casablanca. Un chaos que plusieurs parents de la capitale économique ont vécu de plein fouet. « C’est une question d’organisation ! Il y a un décalage énorme entre le temps de travail des parents et celui des enfants. La quasi-totalité des entreprises ont repris en présentiel et en horaire normal, même si le ministère a stipulé que le télétravail devait être privilégié. On ne tient pas en compte du fait que l’on a des enfants à la maison. On est obligés d’avoir un chauffeur, une nounou et toute une équipe dédiée. Ce n’est pas possible» explique Ghislaine qui a dû inscrire son fils à la crèche de Bouskoura, vu que les crèches de Casablanca ont décidé de fermer. « Ce sont des frais en plus, puisqu’évidemment, on ne m’a pas remboursé la rentrée de la première crèche. Ils m’ont assuré qu’ils faisaient faillite s’ils avaient à rembourser tout le monde. C’est une catastrophe pour tout le monde ».
Il était une fois l’école…
« C’est une rentrée inédite dans l’histoire de l’Éducation nationale marocaine et dans le monde entier. Samedi 29 août, nous avons reçu un courrier du Ministère reportant la date de l’examen régional du baccalauréat stipulant que l’enseignement en présentiel dépendra du choix des parents. Il a fallu attendre et vivre une semaine dans le flou, car le communiqué ne clarifiait pas les choses » précise Driss Alaoui, directeur de Anisse International School de Casablanca, une école privée de la capitale économique, équipée mais pourtant, l’urgence et les décisions soudaines ont aux raisons d’eux. « Les parents se sont retrouvés perdus entre l’intérêt pédagogique ou sanitaire ? Il fallait, tout d’abord, rassurer les parents qui ne savaient plus où donner de la tête. Ce jour de rentrée avortée du 7 septembre, j’ai dû me présenter à l’école à 7h30 où m’attendaient une émeute de parents avec beaucoup de questions sans réponses » continue le responsable de l’école privée. Une note 39 X 20 du 3 septembre avait été communiquée par le ministère pour définir les modes d’enseignement en alternance : enseignement à distance à synchrone en autonomie de l’élève, ou en présence de l’enseignement, ou présentiel selon un protocole sanitaire strict et précis. « On a travaillé sur la base de cette note du 3 au 6 septembre. Nous avons été surpris par cette décision de fermer la ville de Casablanca et toutes les écoles. Vu le nombre de cas, nous ne pouvons que saluer cette décision. Même si cela a joué sur le moral des élèves et celui des parents. La rentrée scolaire rythme la rentrée économique, politique, législative. On ne peut parler d’un retour de productivité à la normal s’il n’y pas de retour à l’école ». Cette école, qui fait exception, était déjà équipée d’une plateforme digitale depuis 2016. Il s’agissait donc d’adapter l’outil. Mais qu’en est-il de l’école publique ? « L’annonce de fermeture des écoles a été vécue difficilement par les élèves et les professeurs. Nous étions en situation d’urgence, de confinement, nous avons pu nous adapter petit à petit avec les moyens du bord. Le virus est toujours là, se répand rapidement, la décision est compréhensible. Mais la question qui se pose est la suivante :
est-ce que tous les foyers marocains sont équipés techniquement à démarrer une école scolaire normale et équilibrée ? Est-ce qu’on peut parler de continuité pédagogique ? Et est-ce que l’infrastructure internet et de télécommunication permet à tout le monde de suivre les cours en direct et interagir avec son professeur. Je suis chanceux d’être à Casablanca, et à Anisse Internatinal School où j’ai un tableau blanc connecté à un WI-FI sécurisé. Certains élèves ont des soucis de connexion, mais je le prends avec philosophie. Je reprends le cours, je ré explique. Mais je pense que cette expérience du privé ne peut pas être généralisée. Malheureusement. Ce n’est pas le cas de tous les élèves au Maroc, de toutes les écoles du Maroc » précise Mohamed Kaddouri, professeur de mathématiques, un des meilleurs professeurs de Casablanca, qui intervient dans le public comme dans le privé. « J’ai 3 enfants, mon mari travaille dur, je faisais des ménages pour arrondir les fins de mois, mais j’ai dû y renoncer pour m’occuper de mes enfants après cette annonce du 7 septembre. Comment faire ? J’en ai un au primaire et les deux autres au collège. Nous n’avons pas les moyens d’avoir un ordinateur pour chacun d’eux. La connexion internet n’est pas assez bonne » confie Najat, depuis le quartier Oulfa, où elle et ses nombreux voisins se voient dans une situation impossible. « Beaucoup d’écoles souffrent du manque de structures. Beaucoup d’écoles n’arrivent pas à gérer cette situation et la communication entre les parents et le corps enseignement se voit rompue. Les parents sous pression, sont irritables et cela se comprend » explique Driss Alaoui qui revient sur les parents en colère, qui se sentent obligés de payer des frais scolaires souvent exorbitants alors que les conditions ont changé. « Pour la majorité des parents, les écoles doivent fournir des efforts et octroyer des ristournes, cette question reviendra encore. Ce sont des questions légitimes, mais l’école continue de travailler de la même manière, de payer ses professeurs, et d’avoir des frais supplémentaires avec cette nouvelle logistique », continue la même source.