Comment sera demain, se demandent les Marocains, et avec eux trois milliards d’hommes et de femmes, jeunes et moins jeunes tous confinés depuis des semaines, soucieux, anxieux, ennuyés, étourdis, abasourdis…?
Le nid familial, berceau négligé lors de l’obnubilation par la modernité et les horizons vastes de l’espace public, retrouve ses lettres de noblesse, non sans un grain de vengeance ! Les êtres confinés, en famille certes, mais solitaires, le nez dans le petit écran mobile, surfant et navigant, aiment, partagent, chattent et attendent…
Ce Godot qui doit arriver ! Ce demain dont rêvent les amoureux et les non amoureux ! Rien que ça : sortir, se balader, prendre un café, faire le dandy à la Baudelaire. Oublions les rêves grandioses, ce rêve marocain qui se dessine toujours à l’horizon et qui peut arriver un jour. Oublions pour un moment ce rêve aussi grand que l’histoire ! Imaginons juste le plaisir de pouvoir sortir, de pouvoir circuler, de dire bonjour ! Un Carpe Diem pour un jour qui arrive, qui va venir, que tout le monde chérit et espère !
Imaginons un peu ce qui se passe :
le retour de la famille, le pouvoir consolidé de l’État, la disparition (ou plutôt la digitalisation) de l’espace public, et l’acquiescement de la quasi-totalité de la population ! La dérive autoritaire dont parlent certains n’a tenté personne ! Au moins au Maroc !
Ailleurs on a laissé les démons faire un peu de «ménage» du côté des têtes chaudes ! Chez nous au Maroc, une nouvelle réalité, un nouvel ordre, sanitaire et solidaire, mais difficile à déchiffrer puisque l’acte social se trouve derrière les murs, loin des yeux, loin de la surveillance du sociologue ou du politique…
Les seules ouvertures, au sens littéral et figuratif, qui nous donnent une idée sur ce monde «d’êtres solitaires dans le nid familial» sont les «posts», les «tweets», les partages, les «likes», les commentaires, les photos, les vidéos, toute la nébuleuse du virtuel, la constellation des tendances éphémères, des identités qui se forment et se déforment, une cacophonie séduisante par ses bruits, ses vagues, ses sons, son populisme primaire…
Au temps du confinement, une autre culture se trace, une trame légère d’expression se faufile, se manifeste, s’impose ! La distance sociale ! Révolus sont les temps où on demandait aux gens de se socialiser, de se mêler, de se rapprocher… On avait peur des êtres solitaires ! C’est anti-culturel ! «Il penseroso» de Milton est une «aberration» sociale, un acte anti-social, voire existentiel digne (quelques siècles plus tard) d’un Kafka, ou d’un Camus. Les philosophes, comme les poètes arabes, «errent dans chaque vallée», suivis de ceux qui perdent la boussole ! C’est pourquoi on prêchait la cohue ! Le social est un fait de cohue !
Là, maintenant, en pleine pandémie, c’est le retour du solitaire ! Un retour à la cave ! Des petites hordes primaires qui scrutent à travers les fenêtres l’acte social en train de se réduire à un geste furtif de sortie réprimée par la société et le pouvoir !
L’espace familial, le petit refuge nocturne d’antan, redevient un repère !
Un espace qui se redécouvre ; il renaît de ses cendres ! Le phénix se réveille ! Il est aussi diurne, partagé, il n’est plus le domaine privé de la femme ! Une coexistence imposée ! Les hommes apprennent à cuisiner, ou au moins ils se font des «selfies» en train de l’essayer ! Le domaine public se vide ! La migration collective vers le foyer ! Le débat se transforme en voix virtuelles ; il est soudainement digital ! Que dirait Habermas de cette nouvelle dynamique ?
La sphère publique de l’ère digitale : des êtres confinés qui se parlent à partir de leurs caves familiales, les rues vides faisant écho de leur silence…
Cependant, la terre sourit, les oiseaux respirent mieux, les reptiles sortent sans peur, la flore se régénère, la faune se repose, le ciel est bleu ! Une récréation tant espérée ! Avant le retour de ces humains destructeurs, égoïstes, arrogants, voire suicidaires ! Mais reviennent-ils plus sages et assagis ? Reviennent-ils pour vivre en harmonie avec les autres êtres de la planète, meurtrie par les siens ? Vont-ils se débarrasser de ce mythe de vouloir conquérir et maîtriser ! Une culture d’humilité naîtra-t-elle de ce confinement peut-être salutaire ?
«Une humble condition n’éblouit pas, mais elle est sûre. Plus haut l’on est placé, plus la chute est à craindre», disait Sénèque il y a plus de vingt siècles. On était destiné à une chute vertigineuse ! En tant qu’humanité ! On allait droit au mur !
On consommait à outrance ! On polluait à outrance ! On détruisait à outrance !
Une petite leçon d’humilité serait la bienvenue ! Un arrêt ! Méditons l’histoire ! Nos folies d’êtres arrogants croyant dominer le monde ! Pourrions-nous être humbles, comme les autres créatures de la nature ?
Ils nous regardent, amusés, mais tristes de notre legs, de l’héritage que nous laissons à nos enfants.
Dans nos petits coins, confinés, en tant que marocains, africains, arabes, et autres : pourrions-nous saisir ce besoin d’humilité ? Les Soufis disaient que l’essence de l’amour est l’humilité !
L’Homme humble dans son amour ! Est-ce possible ? De Dieu, de l’autre, de soi même ! L’humilité est la clef de la connaissance ! Du savoir ! La reconnaissance de son ignorance de la grandeur de l’existence ! De sa place infinitésimale dans le cosmos ! Un petit grain dans une constellation de galaxies interminables!
Revenons à la terre, humble, juste et solidaire envers nous-mêmes, envers la terre mère, envers les autres créatures ! Arrêtons la destruction ! Le mal des humains ! Vivons en harmonie, modeste et proche de la terre. Plus on s’envole dans les cieux, plus on risque le sort d’Icare. Il fallait une pandémie aux portées planétaires pour nous éveiller, nous apprendre à mieux apprécier le son d’un pigeon chanter l’amour éternel !