Par Patrick G.
Chers aficionados, et si nous abordions les contes et légendes du Habanos ? En effet, nous voici maitre dans le plaisir de la dégustation de notre cigare favori, mais il reste, pour afficher au grand jour l’amour de notre bien aimé module, à en connaitre son histoire et ses légendes. Toutefois, nous allons devoir arbitrairement être concis car l’histoire du cigare remonte à si loin, qu’il existe à Cuba, lorsqu’un discours n’en finit pas, ou que des démarches sont interminables, une expression imagée qui dit que « ça raconte l’histoire du cigare » !
Souvenez-vous, l’Ile de Cuba appartient alors aux Espagnols, et par un petit matin brumeux de 1799, la régie des tabacs Espagnols de l’époque trouve sympa de donner aux cigares de Cuba, l’appellation de Havane. Pour le moment c’est juste un nom, car la qualité de l’époque cantonne ces cigares à la satisfaction des marins espagnols en escale, noyant leur ennui dans le rhum. Ces Havanes sont sous monopole royal d’Espagne qui sera finalement aboli quelques 20 ans plus tard, autorisant Cuba à faire commerce de ses cigares. La grande épopée du Puros était lancée, et le monde entier voyait naitre les premières générations d’aficionados, nos ancêtres en quelques sortes..
Au début, il règne une certaine confusion dans cette ruée sur le cigare où tous les Cubains se proclament fabricants. Des centaines de manufactures voient le jour. Enfin, manufacture est un bien grand mot, car parfois il s’agissait plutôt d’un petit atelier familial qu’on appelait Chinchalles. Vous retrouverez de nos jours ce nom sur les devantures de certaines petites civettes Espagnoles et il est resté comme qualificatif des cigares anonymes, faits à la maison, pratique encore très courante à Cuba.
C’est un peu plus tard, au milieu du 19e siècle que sont apparus les noms commerciaux des modules que nous conservons précieusement aujourd’hui dans nos caves. Il va nous falloir à partir de là, accepter que l’histoire s’appuie sur la légende et que la légende construise l’histoire. Choisir c’est renoncer… Alors comme il est impossible de passer en revue l’historique de tous les modules, nous allons nous concentrer sur quelques-unes de nos vitoles favorites que nous avons l’habitude de partager sous le soleil de notre beau Maroc. Quoique ce mois-ci, il vous faut patienter jusqu’au Ftour pour voir monter les volutes
de ce plaisir, alors Ramadan Mubarak Sidi et soyez patients…moi, je prends de l’avance.
Avant de détailler ces marques que nous chérissons tant, il faut savoir qu’elles reviennent de loin. En effet lors de son arrivée au pouvoir en 1959, Fidel Castro a vite compris l’intérêt économique du cigare et a nationalisé la plus grande partie des manufactures, majoritairement sous contrôle Americain, et faisant disparaitre les autres. Toutefois emporté par son élan réformiste, le Lider Maximo n’a pas eu que des bonnes idées. En effet, il souhaitait que le cigare devienne un emblème mondial de sa révolution, et que désormais toutes les vitoles confondues ne porteraient qu’un seul nom : le Siboney, synonyme de Patriote Cubain. Vous imaginez la tristesse de nos caves … alors ce soir, Siboney ou Siboney ? La légende veut que son ami Ernesto (Le Che) ayant une fibre marketing plus développée, réussi à le convaincre de conserver les noms déjà appréciés et connus des amateurs du monde entier. Finalement, les manufactures ont quand même été rebaptisées à la gloire de héros révolutionnaires, mais les noms commerciaux ont été conservés.
D4, Lusitania, E2, vous l’aurez deviné, à tout seigneur tout honneur, c’est Partagas qui ouvre le bal. Il se dit que c’est sans doute la plus ancienne vraie manufacture, créée vers 1845 dans
les murs de la manufacture royale
des tabacs, par un immigré espagnol, un certain Jaime Partagas…on a envie de dire, nous aussi ! Si nos Partagas d’aujourd’hui portent le nom du fondateur, la vocation première de cette manufacture est d’être une fabrique et je suis sûr que vous serez surpris de lire que des marques comme Bolivar, créée en 1902 en hommage à Simon le Libertador ou Ramon Allones, sont roulées par Partagas.
En fait, cette pratique est courante depuis la disparition de nombreuses fabriques après la révolution. Chaque module que nous connaissons n’est pas forcément issue de sa fabrique éponyme, et nous allons voir que peu de nos cigares, finalement, portent le nom de leur créateur.
A la même époque que notre Espagnol Partagas, un banquier Allemand Herman Uppman, passionné et grand consommateur de cigares s’installe à Cuba pour créer sa propre fabrique de cigares destinée alors aux gros clients de sa banque. Mais emporté par la passion, il abandonna très vite sa casquette de banquier au profit d’un panama. Le H.Upmman était né. Presqu’un siècle plus tard, vers 1935, une nouvelle marque sort des ateliers H.Upmman, pour devenir une des plus grandes références mondiales, le Monte Cristo.
La légende veut que l’appellation Monte Cristo soit issue d’une très vieille tradition toujours en vigueur de nos jours dans les fabriques de cigares ; la lecture publique. Les toutes premières fabriques de cigares s’appuyaient sur le modèle carcéral, d’autant plus facile qu’elles s’installaient dans d’anciennes prisons. L’idée était venue que l’alignement de tous ces ouvriers du tabac (torcedors) faisait penser à des galériens, c’est d’ailleurs pour cela, qu’aujourd’hui encore, la salle des Torcedors s’appelle la Galera. Bref, afin d’accentuer la concentration sur le travail et d’éviter les bavardages, il était fait lecture à haute voix de livres, romans ou autres nouvelles, selon les époques. Vous l’aurez compris, c’est la lecture du Comte de Monte Cristo dans la fabrique H.Upman, qui a inspiré l’appellation Monte Cristo. Depuis, bons nombres de modules de la marque ont fait référence à ce chef d’œuvre d’Alexandre Dumas. Le plus célèbre, le Edmundo, n’est rien d’autre qu’un hommage au véritable nom de monsieur le Comte, Edmond Dantès.
Monte Cristo fait donc partie de ces marques qui ne sont pas issues de leur propre fabrique et dont le nom est pure création.
C’est une légende semblable qui aurait fait naitre vers 1875, Romeo y Julieta en référence aux héros romantiques de William Shakespeare. L’ambassadeur spontané le plus célèbre de cette marque fut un certain Winston Churchill. A tel point, que pour honorer la visite du Prime Minister à Cuba en 1946, Romeo Y Julieta, apposa dans un premier temps son nom sur la bague du modeste Julieta n°2, puis décida très rapidement qu’au-delà d’un nom, le Churchill serait un module à lui tout seul. Désormais, le Churchill est une référence dans de nombreuses fabriques.
Il est dans l’histoire du cigare, des familles à destinée. Les frères Allones en sont un exemple. Vers 1837, Ramon Allones et son frère Antonio Allones, encore des Espagnols, fondent la marque Ramon Allones qui sera par la suite donnée en fabrication à la maison Partagas. Quelques années plus tard, Antonio, sans doute frustré de ne pas voir son patronyme associé comme son frère au succès du cigare, quitte l’entreprise pour finalement fonder une nouvelle marque qui verra le jour vers 1882, El Rey del Mundo qui reste encore une valeur sûre aujourd’hui, quoique moins exposée.
J’en devine certains, qui s’impatien-tent. Bon alors, quand est-ce que l’on évoque, le seul, l’unique, le vrai, ce fameux connu de tous et surtout des non-fumeurs, la référence, l’image de Cuba, l’étalon du Puros, le célèbre Cohiba ! En fait, il est arrivé bien tard dans l’épopée du cigare. Ce cher Fidel, ayant décidé de faire du social, créa au milieu des années 60, une fabrique-école pour former les torcedors, du moins devrions-nous dire les torcedoras du futur. En effet pour
la première fois, les femmes allaient rouler les cigares. Jusqu’alors seuls les hommes étaient employés à cette tâche. Pour la petite histoire, son programme social de réinsertion consistait à diminuer le nombre de femmes à petite vertu dans les rues en les mettant au travail dans les Galeras. Cette fabrique-école qui existe toujours sous le nom de El Laguito ( nom de l’ancien hôtel particulier qui l’accueille), deviendra le nid de Cohiba dont le premier module sortira en 1966. Ce nom de Cohiba était un hommage aux indiens Tainos qui désignaient ainsi un vague assemblage de feuilles de tabac qu’ils fumaient (nous étions sans doute loin du Behiké ou du Talisman d’aujourd’hui).
La qualité du Cohiba dès sa création, était destiné à l’usage exclusif du Lider Maximo, de son entourage, et des cadeaux diplomatiques. Si cela marche une fois, pourquoi ne pas tenter de rejouer… trois ans plus tard, en 1969, la fabrique école El Laguito donne naissance au premier Trinidad, en hommage à la ville de Santisima Trinidad. Au même tiwtre que le Cohiba, le Trinidad sera interdit à la vente et exclusivement réservé à l’usage du patron qui l’utilise principalement comme cadeaux auprès des diplomates étrangers. Qui pourrait rêver pareil succès, créer une fabrique plus d’un siècle après les autres dont les deux premières vitoles sont Cohiba et Trinidad !
Nous attendrons finalement 1982, pour découvrir le Cohiba dans nos Civettes. En effet à l’occasion précise de la coupe du monde de football en Espagne à laquelle participa Cuba, avec un certain succès, Fidel décida d’autoriser la commercialisation de la marque Cohiba, sauf bien sûr pour les USA, toujours punis et privés de Puros depuis 1962. Le cigare Trinidad restera au service de la diplomatie et de la raison d’Etat jusqu’en 1998. Sa mise sur le marché, encore aujourd’hui est volontairement très limiteé afin de conserver à cette vitole son côté élitiste.
Finalement, cette révolution Cubaine fait partie intégrante de l’histoire du cigare et a été plutôt bénéfique pour nos Puros. Depuis 1967, Le havane est sous appellation d’origine protégée qui dit que n’a droit à l’appellation habano qu’un cigare roulé à Cuba, à partir de feuilles récoltées à Cuba. Certes, nous sommes passés de quelques 500 manufactures à la fin du 19e siècle, à moins d’une dizaine aujourd’hui. Ces manufactures produisent encore pour notre plus grand plaisir, plus d’une trentaine de marques, avec autant de diversité de modules, telles que : Hoyo de Monterrey dont le nom vient de la vallée où est cultivé son tabac, Punch qui tire son nom d’un célèbre clown mascotte d’un journal anglais, Vegas Roibana dernier bastion dont la famille fondatrice Robaina depuis 1845 est toujours impliquée dans la plantation et fournisseur officiel du tabac pour Cohiba, et plus encore…mais, c’est une autre histoire.